revenue; ils en parlaient ensemble, comme de la mort, d'une
fatalite lointaine, mais ineluctable. Restait le grand chagrin
qu'ils auraient chez lui en apprenant qu'il ne vivait pas seul, la
colere de son pere si rigide et si prompt.
Mais comment pourraient-ils savoir? Jean ne voyait personne a
Paris. Son pere, "le consul" comme on disait la-bas, etait retenu
toute l'annee par la surveillance du domaine tres considerable
qu'il faisait valoir et ses rudes batailles avec la vigne. La
mere, impotente, ne pouvait faire sans aide un pas ni un geste,
laissant a Divonne la direction de la maison, le soin des deux
petites soeurs jumelles, Marthe et Marie, dont la double naissance
en surprise avait a tout jamais emporte ses forces actives. Quant
a l'oncle Cesaire, le mari de Divonne, c'etait un grand enfant
qu'on ne laissait pas voyager seul.
Et Fanny maintenant connaissait toute la famille. Lorsqu'il
recevait une lettre de Castelet, au bas de laquelle les bessonnes
avaient mis quelques lignes de leur grosse ecriture a petits
doigts, elle la lisait par-dessus son epaule, s'attendrissait avec
lui. De son existence a elle il ne savait rien, ne s'informait
pas. Il avait le bel egoisme inconscient de sa jeunesse, aucune
jalousie, aucune inquietude. Plein de sa propre vie, il la
laissait deborder, pensait tout haut, se livrait, pendant que
l'autre restait muette.
Ainsi les jours, les semaines s'en allaient dans une heureuse
quietude un moment troublee par une circonstance qui les emut
beaucoup, mais diversement. Elle se crut enceinte et le lui apprit
avec une joie telle qu'il ne put que la partager. Au fond, il
avait peur. Un enfant, a son age!... Qu'en ferait-il?... Devait-il
le reconnaitre?... Et quel gage entre cette femme et lui, quelle
complication d'avenir!
Soudainement, la chaine lui apparut, lourde, froide et scellee. La
nuit, il ne dormait pas plus qu'elle; et cote a cote dans leur
grand lit, ils revaient, les yeux ouverts, a mille lieues l'un de
l'autre.
Par bonheur, cette fausse alerte ne se renouvela plus, et ils
reprirent leur train de vie paisible, exquisement close. Puis
l'hiver fini, le vrai soleil enfin revenu, leur case
s'embellissait encore, agrandie de la terrasse et de la tente. Le
soir, ils dinaient la sous le ciel teinte de vert, que rayait le
sifflement en coup d'ongle des hirondelles.
La rue envoyait ses bouffees chaudes et tous les bruits des
maisons voisines; mais le moindre souffle d'air eta
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