eme. Sans doute qu'il
ne peut y avoir d'hesitation a choisir entre ce petit Fort isole et la
maison paternelle, et cependant plusieurs disent a leur compagnon de
route: "il a une bonne mine notre Fort" et une larme silencieuse coule
sur leur joue brulee par le soleil.
Car, tous et chacun nous l'aimions bien notre petit fort et c'etait
naturel. C'etait l'ouvrage de six longues semaines; chacun y avait mis
la main et se considerait seul proprietaire de telle ou telle partie du
parapet, de telle ou telle barricade, des meurtrieres, selon l'ouvrage
qu'il avait fait. Peu a peu les wagons descendent lentement la colline,
nous suivons sans rien dire, et, petit a petit, le fort disparait a
l'horizon. Enfin, on ne peut plus le voir, mais chacun en conserve une
copie gravee au fond de son coeur.
Nous marchons pendant deux heures et, vers 6.30 p.m., nous montons
le camp. Nous avions a peine monte nos tentes qu'un de nous voit des
voitures venir sur la route. Bientot le mot se passe d'une bouche a
l'autre et toute la compagnie va rencontrer les nouveaux arrivants, qui
ne sont autres que nos freres de la riviere du Chevreuil Rouge. Nous
leur serrons les mains avec tout le plaisir qu'on a a se revoir apres
une si longue absence. A regarder leurs figures brulees, a voir leurs
vetements en haillons chacun se dit: "Ils ont souffert comme nous." Nous
leur aidons a monter leurs tentes, non loin de notre camp, et, jusqu'a
neuf heures et demie, l'on se raconte les differents episodes des
semaines passees, et les amis font mille projets pour l'avenir qui leur
sourit du haut de Mont-Royal. Vers les neuf heures, le lieut. Dunn, des
carabiniers a cheval, qui avait passe une quinzaine de jours au Fort
Ostell, vint faire une visite d'adieux au capitaine et aux soldats.
Peut-etre avait-il un dernier espoir de pouvoir decider quelques-uns de
nous d'entrer dans sa compagnie, plusieurs le disaient, mais j'aimais
mieux le croire plus desinteresse, car si c'eut ete le cas je n'aurais
pu que plaindre sa mauvaise fortune: personne ne lui donna son nom.
28 juin--A quatre heures tout le monde etait sur pied du cuisinier a
l'orderly et a six heures on etait pret a partir. Pendant le dejeuner,
il avait ete decide entre le capitaine et le maitre charretier que
chaque wagon recevrait trois soldats: en voila donc quinze de montes. Il
en reste encore dix a placer. Ceux-ci attendent avec le capitaine les
charretiers de l'autre detachement. Notre capitaine es
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