, et la-haut on veut des ames bien entieres. Que ce
soit Satan ou le bon Dieu qui les jugent, ces juges exigent une ame par
corps. Leurs lois sont formelles. Quand ils se reincorporeront pour
l'eternite, comment le pauvre Elie arrivera-t-il a faire entrer la
sienne, la vraie, celle qu'il a perdue a l'eau, dans le fourreau deja
a moitie rempli? Il lui en sortira donc une partie hors du corps? Et
d'autre part, Anne-Marie, depourvue de sa moitie d'ame, avec quoi
remplira-t-elle sa gaine demi-vide? Peut-etre, et je le crois, avec le
surplus de celle d'Elie et ce qu'il y en aura hors de lui. Alors ils se
tiendront une fois encore, et j'incline a penser que n'importe ou on les
enverra de la sorte, soit toujours unis, ils se trouveront dans le vrai
paradis.
L'ENFANT PERDU
A une portee de fusil du hameau breton que j'habite, il y a une ferme
importante, appelee la Ville-Eyrnaud, du nom de son fermier, ou plutot
de sa fermiere, Jacquemine Eyrnaud, car Pierre Eyrnaud est mort l'an
dernier. Dieu ait son ame!
Etablie dans une espece de manoir, d'ailleurs sans caractere et
d'un style hybride, la metairie se relie par de hautes futaies de
chataigniers et des allees magnifiques a cette foret de Ponthual, sombre
et legendaire, qui fut et redeviendrait, au besoin, un repaire de
chouans. Un "doue", ou ruisseau aux eaux intermittentes, separe le corps
d'habitation de ses dependances, potagers, vergers, etables et prairies;
il aboutit a un vivier devenu une canarderie tumultueuse, comique,
toujours en batailles d'ailes ou de becs. Un radeau, vert de graminees,
y flotte et se deplace, et c'est sur le pont rustique qui la traverse
que, le soir, au soleil tombant, la mere Eyrnaud preside a la rentree de
ses vaches. Les enfants qui les menent, avec des baguettes de coudrier,
ont l'air de les pousser avec des rayons.
Puis, c'est le tour des chevaux, reconduits a l'ecurie par les gars de
la fermiere. Elle les voit venir, blancs sur le vert bruni des sentes,
ecartant du garrot les eventails des fougeres, et quand ils ont bu au
"dormoir", chacun a leur tour, elle est contente et s'en va a la soupe.
Au loin, l'orchestre de la mer enfle ses rumeurs, et les lignes
violettes des bois tremblent a l'horizon.
La mere Eyrnaud a sept enfants. Elle les a tous allaites, eleves et
gardes. Elle les aime profondement. Ils l'aiment egalement.
--Ah vere dam, oui, par exemple!
Et, cependant, elle est toujours triste.
Nul ne peut se vant
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