our le cloitre,
preuve que la nature en fait, quoi qu'on en dise. Il n'en allait pas
moins que la terrible fille s'etait peu a peu emparee, servante a la
fois et maitresse, de la direction des affaires familiales. Elle tenait
les comptes, reglait les fermages, touchait les loyers et allait payer
les impots a la ville.
On ne lui accordait aucune chance a l'heritage. Le pere Legoaz voulait
de la descendance et il savait que Madeleine n'etait pas mariable. Qui
donc s'exposerait a vivre avec une mechante, impatiente de tout joug, et
dont les animaux meme avaient peur? Non, bien sur, ce n'etait pas son
nom qui remplirait la ligne blanche du testament.
Un soir, a la soupe, Yvon-Conan Legoaz annonca sa mort prochaine, du
reste tres simplement:
--J'ai les soixante-six, leur dit-il, c'est l'age ou ceux de ma race
s'en vont.
Sur la route, a la nuit tombante, il avait rencontre le fantome de
son propre pere, une grande ombre blanche, assise sur les degres du
calvaire, qui s'etait levee a son approche et lui avait fait le signe du
depart.
--On y va, l'ancien!...
Et il etait rentre pour les preparatifs du voyage sans retour.
Le repas termine, il alla prendre le testament dans le coffre,
l'etendit, deplie, sur la table, demanda l'encre et la plume et s'assit,
la tete entre les mains.
--Montez vous coucher tous les trois, ordonna-t-il.
Puis, reste seul sous la chandelle vacillante, le vieux chouan ouvrit en
lui-meme le grand debat definitif de sa succession.
--Je laisserai mon bien, avait-il dit et redit, au plus apte a le faire
prosperer.
Mathieu, Laurent ou Madeleine?
De Mathieu, un acte l'avait beaucoup frappe, car il temoignait d'un
esprit d'ordre et d'economie d'autant plus extraordinaire qu'il venait
d'un enfant et revelait ainsi une vertu ethnique fondamentale. Un jour
que l'on battait au fleau selon l'usage, sur des draps, dans le gazon,
une recolte de petit pois surabondante, bons seulement pour la graine,
le petit batard, a peine age de neuf ans, avait voulu, quoique la
besogne fut finie, rester sur le champ de battage. Et, jusqu'a la chute
du jour, il avait glane les pois epars dans l'herbe, les recueillant un
a un, comme des pepites d'or, au creux de sa blouse.
Et le matin en avait bien encore rapporte un demi-sac a la grange.
Cette patience ne s'etait jamais dementie, et Mathieu ramassait encore
les petits pois perdus en toutes choses.
Il est vrai qu'il y avait, a l'acquis de Laurent, un
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