ente. Je n'epargnai rien, a la premiere connoissance
que j'en eus, pour me vaincre moi-meme, dans l'impossibilite que je
trouvai a la changer. Je me servis pour cela de toutes les forces de
mon esprit; j'appelai a mon secours tout ce qui pouvoit contribuer a ma
consolation. Je la considerai comme une personne de qui tout le merite
etoit dans l'innocence, et qui par cette raison n'en conservoit plus
depuis son infidelite. Je pris des lors la resolution de vivre avec
elle comme un honnete homme qui a une femme coquette, et qui est bien
persuade, quoi qu'on puisse dire, que sa reputation ne depend point de
la mauvaise conduite de son epouse; mais j'eus le chagrin de voir qu'une
personne sans beaute, qui doit le peu d'esprit qu'on lui trouve a
l'education que je lui ai donnee, detruisoit en un moment toute ma
philosophie. Sa presence me fit oublier mes resolutions, et les
premieres paroles qu'elle me dit pour sa defense me laisserent si
convaincu que mes soupcons etoient mal fondes, que je lui demandai
pardon d'avoir ete si credule. Cependant mes bontes ne l'ont point
changee. Je me suis donc determine de vivre avec elle comme si elle
n'etoit pas ma femme; mais si vous saviez ce que je souffre, vous auriez
pitie de moi. Ma passion est venue a tel point qu'elle va jusqu'a entrer
avec compassion dans ses interets. Et quand je considere combien il
m'est impossible de vaincre ce que je sens pour elle, je me dis en meme
temps qu'elle a peut-etre une meme difficulte a detruire le penchant
qu'elle a d'etre coquette, et je me trouve plus dans la disposition de
la plaindre que de la blamer. Vous me direz sans doute qu'il faut etre
poete pour aimer de cette maniere; mais, pour moi, je crois qu'il n'y
a qu'une sorte d'amour, et que les gens qui n'ont point senti de
semblables delicatesses n'ont jamais aime veritablement. Toutes les
choses du monde ont du rapport avec elle dans mon coeur. Mon idee en
est si fort occupee que je ne sais rien en son absence qui m'en puisse
divertir. Quand je la vois, une emotion et des transports qu'on peut
sentir, mais qu'on ne sauroit dire, m'otent l'usage de la reflexion: je
n'ai plus d'yeux pour ses defauts, il m'en reste seulement pour tout ce
qu'elle a d'aimable.[11] N'est-ce pas la le dernier point de folie, et
n'admirez-vous pas que tout ce que j'ai de raison ne sert qu'a me faire
connoitre ma foiblesse, sans en pouvoir triompher?[12]--Je vous avoue
a mon tour, lui dit son ami, que vous etes plus a
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