et simple d'une faculte d'observation critique, analytique, qui
releverait avec soin dans des personnages de sa composition les traits
epars qu'elle aurait rassembles (Gresset dans le _Mechant_). Il y a
toute une classe de dramatiques veritables qui ont quelque chose de
lyrique en un sens, ou de presque aveugle dans leur inspiration, un
echauffement qui nait d'un vif sentiment actuel et qu'ils communiquent
directement a leurs personnages. Moliere disait du grand Corneille: "Il
a un lutin qui vient de temps en temps lui souffler d'excellents vers,
et qui ensuite le laisse la en disant: Voyons comme il s'en tirera quand
il sera seul; et il ne fait rien qui vaille, et le lutin s'en amuse."
N'est-ce pas dans ce meme sens, et non dans celui qu'a suppose Voltaire,
que Richelieu reprochait a Corneille de n'avoir pas _l'esprit de suite_?
Corneille, en effet, Crebillon, Schiller, Ducis, le vieux Marlowe, sont
ainsi sujets a des lutins, a des emotions directes et soudaines, dans
les acces de leur veine dramatique. Ils ne gouvernent pas leur genie
selon la plenitude et la suite de la liberte humaine. Souvent sublimes
et superbes, ils obeissent a je ne sais quel cri de l'instinct et a une
noble chaleur du sang, comme les animaux genereux, lions ou taureaux;
ils ne savent pas bien ce qu'ils font. Moliere, comme Shakspeare, le
sait; comme ce grand devancier, il se meut, on peut le dire, dans une
sphere plus librement etendue, et par cela superieure, se gouvernant
lui-meme, dominant son feu, ardent a l'oeuvre, mais lucide dans son
ardeur. Et sa lucidite neanmoins, sa froideur habituelle de caractere
au centre de l'oeuvre si mouvante, n'aspirait en rien a l'impartialite
calculee et glacee, comme on l'a vu de Goethe, le Talleyrand de l'art:
ces raffinements critiques au sein de la poesie n'etaient pas alors
inventes. Moliere et Shakspeare sont de la race primitive, deux freres,
avec cette difference, je me le figure, que dans la vie commune
Shakspeare, le poete des pleurs et de l'effroi, developpait volontiers
une nature plus riante et plus heureuse, et que Moliere, le comique
rejouissant, se laissait aller a plus de melancolie et de silence.
Le genie lyrique, elegiaque, intime, personnel (je voudrais lui donner
tous les noms plutot que celui de _subjectif_, qui sent trop l'ecole),
ce genie qui est l'antagoniste-ne du dramatique, se chante, se plaint,
se raconte et se decrit sans cesse. S'il s'applique au dehors, il est
tente a chaque
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