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endra. Ce que vous estimez, ce que vous
aimez, je l'aime et je l'estime aussi. Quant a l'honorable John Minter
Morgan, je lui fais un grand salut; mais, en parcourant son ouvrage,
je suis tombee sur un eloge si naif de M. Guizot et du _King of the
French_, que je n'ai pu m'empecher de rire.
C'est assez vous parler des autres. Permettez-moi de vous parler de vous
et de vous dire tout bonnement ce que j'en pense, a present que je vous
ai vu. C'est que vous etes aussi bon que vous etes grand, et que je
vous aime pour toujours. Mon coeur est brise, mais les morceaux en sont
encore bons, et, si je dois succomber physiquement a mes peines avant de
vous retrouver, du moins j'emporterai dans ma nouvelle existence,
apres celle-ci, une force qui me sera venue de vous. Je suis fermement
convaincue que rien de tout cela ne se perd, et qu'a l'heure de mon
agonie, votre esprit visitera le mien, comme il l'avait deja fait
plusieurs fois avant que nous eussions echange aucun rapport exterieur.
Tout ce que vous m'avez dit sur les vivants et sur les morts est bien
vrai, et c'est ma foi que vous me resumiez. A present que vous etes
parti, quoique nous ne nous soyons guere quittes pendant ces deux jours,
je trouve que nous ne nous sommes pas assez parle! Moi surtout, je me
rappelle tout ce que j'aurais voulu vous demander et vous dire.
Mais j'ai ete un peu paralysee par un sentiment de respect que vous
m'inspirez avant tout. Croyez pourtant que ce respect n'exclut pas la
tendresse, et que, excepte votre mere, personne n'aura desormais des
elans plus fervents envers vous et pour vous.
J'espere que vous me donnerez de vos nouvelles de Paris, si vous en avez
le temps. Je suis en dehors des conditions de l'activite, je ne puis
rien pour vous, que vous aimer; mais Dieu ecoute ces prieres-la, et
elles ne sont pas sans fruit.
Adieu, mon frere; quand vous souffrez, pensez a moi et appelez mon ame
aupres de la votre. Elle ira.
Ma famille d'enfants et d'amis vous envoie ses voeux sinceres.
GEORGE.
CCCXX
A M. CHARLES DUVERNET, A LA CHATRE
Nohant, decembre 1850.
Mes enfants, envoyez-moi deux objets dont j'ai le plus pressant besoin:
une _dinde_ et _Muller_[1].
_Une dinde_! la meilleure que vous aurez, morte ou vive! il nous arrive
des truffes; mais on va aux epinettes, pas de dinde! on va dans le
village, pas de dinde! Il faudrait attendre a samedi pour n'en pas
trouver de bonne, peut-etre
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