saisissante que je me rends compte de la
possibilite de ne te rejoindre plus. Mais toi, tu ne dois ressentir
aucune douleur. Tu devras etre fiere, tu le seras, je le sais bien, du
sacrifice que toi, avec des milliers d'autres meres, auras du faire.
Mon amour pour chacun de vous, et surtout pour la plus cherie mere du
monde, est si grand que je ne saurai m'amener au point de dire adieu.
Notre bien-aime pere n'est plus la, mais j'espere qu'il sait que j'ai
fait mon devoir au mieux de mon possible et que je paierai le sacrifice
supreme fierement et sans regret. La vie d'un homme dans cette guerre ne
vaut pas le claquement des doigts.
Eh bien! esperons que, dans les mois a venir, nous nous amuserons bien
de cette lettre.
Avec tout l'amour du monde a chacun de ma famille,
Affectueusement ton fils,
CONRAD.
Il y a aussi un dernier voeu que je te prie instamment de m'accorder.
Si je tombe en France, permets que mes restes y soient enterres;
c'est-a-dire ne depense pas d'argent pour les transporter aux
Etats-Unis. Je n'ai aucun sentiment a ce propos, et je serai fier de
m'endormir a tout jamais dans ce merveilleux petit pays.
_Lettre ecrite par le Sergent Charles CROSNIER, 355e Regiment
d'Infanterie, tombe au champ d'honneur, le 27 Septembre 1915, a la Ferme
Navarin._
23 Septembre 1915.
Ma chere Mere,
J'ai recu hier ta bonne lettre contenant la carte d'Henri; je n'ai pas
encore recu de ses nouvelles.
C'est avec plaisir que j'apprends que Monsieur Viron t'a envoye le
montant de ce qu'il me devait. J'espere, chere mere, qu'avec cette somme
tu pourras faire face aux depenses de plusieurs mois; prends surtout tes
precautions pour ceux d'hiver qui ne vont pas tarder.
Par ce courrier, j'ecris a Madame X... J'ai eu des nouvelles de Monsieur
Z..., de Bethune, par un de ses cousins, un jeune homme que j'ai
rencontre tout a fait par hasard a Hesdin; il me parait supporter
allegrement la guerre en faisant de bonnes et grosses affaires.
Je crois, chere mere, que le grand coup est pour demain ou apres-demain,
le regiment y prendra sans doute part, je puis meme dire certainement.
Dire que l'on voit venir ce moment sans une petite apprehension serait
mentir, mais je t'assure, ma bonne mere, que nous l'envisageons tous
avec calme et confiance. Je crois que nous sommes maintenant bien
prepares pour donner une bonne correction a notre ennemi maudit, et
peut-etre aussi pour le chasser tout a fait de notre chere
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