es songes plus ou moins utopiques,
irrealisables. Ah! nous parlions de paix, nous autres, de fraternite,
d'amour entre les peuples et nous ne voyions pas, de l'autre cote du
Rhin, les hommes blonds aux yeux bleus qui preparaient la guerre; leurs
philosophes, leurs penseurs nous traitaient de pourriture qu'il faut a
tout prix supprimer, et nous, betes que nous etions, nous parlions de
desarmement.
Un jour, le canon a gronde sur le Rhin: c'est la guerre; des gens
s'affolerent, d'autres, plus calmes, qui l'avaient vue venir, resterent
calmes. La guerre dechainee par l'Allemand a ravage notre pays; partout
on voit des femmes en deuil, des jeunes filles qui pleurent, des soldats
amputes; c'est a nous, jeunes gens, que revient l'honneur aujourd'hui
de refouler le Boche. Et vous pleureriez, chers parents, en me voyant
partir ... non, n'est-ce pas? Vous vous dites: "Il va ou son devoir
l'appelle: il va chasser l'envahisseur du sol sacre de la France". Oui,
c'est a nous a le bouter hors de France, comme jadis Jeanne d'Arc bouta
les Anglais.
Ce devoir, pour perilleux qu'il soit, je ne le cederais pas pour tout
l'or du monde.
Et si, chers parents, je meurs dans la bataille, vous pourrez etre
surs que votre fils cheri est mort en bon Francais, la poitrine face a
l'ennemi, en entrainant ses hommes.
Chers parents, ne pleurez pas votre petit enfant, soyez certains qu'il
va faire son devoir et qu'il le fera jusqu'au bout.
Soyez forts, je vous enverrai tous les jours, si je le puis, de mes
nouvelles. Au revoir, a bientot, je reviendrai victorieux! vous serez
fiers de moi.
Je vous embrasse. Votre fils devoue qui vous aimera toujours,
CONTI.
_Lettre ecrite par le Sous-Lieutenant Conrad CRAWFORD, de l'Infanterie
americaine, tombe pres de l'Ourcq, a Sergy, le 1er Aout 1918._
(Au front.)
13 Juillet 1918.
Ma cherie Mere,
Ce soir, je passerai au front, dans les tranchees du vrai front, les
places des chauves--"_bald-headed row_"--pour ainsi dire. Tandis que
j'ai une confiance absolue dans ma bonne chance et que je me battrai
jusqu'au bout quand j'en aurai l'occasion, je t'ecris ces lignes
seulement au cas. Quand tu les auras recues, tu sauras bien que tu ne
reverras plus ton fils cadet. C'est ma priere de m'en aller d'une facon
dont tu seras fiere.
Quoique bien des lieues nous separent, _Mother dear_, je te vois
clairement, j'entends ton rire, je ressens ton amour si grand pour moi,
et c'est avec une douleur
|