la colere des dieux
Avait besoin d'une victime;
Car elle m'a puni comme d'un crime
D'avoir essaye d'etre heureux.
Va-t'en, retire-toi, spectre de ma maitresse!
Rentre dans ton tombeau, si tu t'en es leve;
Laisse-moi pour toujours oublier ma jeunesse,
Et, quand je pense a toi, croire que j'ai reve!
Honte a toi qui la premiere
M'as appris la trahison,
Et d'horreur et de colere
M'as fait perdre la raison!
Honte a toi, femme a l'oeil sombre,
Dont les funestes amours
Ont enseveli dans l'ombre
Mon printemps et mes beaux jours!
C'est ta voix, c'est ton sourire,
C'est ton regard corrupteur,
Qui m'ont appris a maudire
Jusqu'au semblant du bonheur,
C'est ta jeunesse et tes charmes
Qui m'ont fait desesperer,
Et si je doute des larmes,
C'est que je t'ai vu pleurer.
O mon enfant! plains-la, cette belle infidele,
Qui fit couler jadis les larmes de tes yeux;
Plains-la! c'est une femme, et Dieu t'a fait, pres d'elle,
Deviner, en souffrant, le secret des heureux.
Sa tache fut penible; elle t'aimait peut-etre;
Mais le destin voulait qu'elle brisat ton coeur.
Elle savait la vie et te l'a fait connaitre;
Une autre a recueilli le fruit de ta douleur.
Plains-la! son triste amour a passe comme un songe;
Elle a vu ta blessure et n'a pu la fermer.
Dans ses larmes, crois-moi, tout n'etait pas mensonge,
Quand tout l'aurait ete, plains-la! tu sais aimer.
Je te bannis de ma memoire,
Reste d'un amour insense,
Mysterieuse et sombre histoire
Qui dormiras dans le passe!
Et toi qui, jadis, d'une amie
Portas la forme et le doux nom,
L'instant supreme ou je t'oublie
Doit etre celui du pardon.
Pardonnons-nous;--je romps le charme
Qui nous unissait devant Dieu;
Avec une derniere larme
Recois un eternel adieu.
George Sand n'avait pas l'ame d'une inconsolable. Sa romanesque
sensibilite se canalisait vite en litterature. Une imagination pratique
la temperait, qui lui laissait peu croire aux cris desesperes des
poetes, a la sincerite de leur douleur. Navrante est sa premiere
impression des _Nuits de Mai_ et _de Decembre_: "Je n'ai pas vu Musset,
ecrit-elle a Liszt, je ne sais s'il pense a moi, si ce n'est quand il
a envie de faire des vers et de gagner cent ecus a la _Revue des Deux
Mondes_. Moi je ne pense plus a lui depuis longtemps, et meme je vous
dirai que je ne pense a personne dans ce sens-la. Je suis plus heureuse
comme je suis
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