quefois pour se rafraichir dans un cabaret situe a une
petite distance du chateau et portant precisement pour enseigne: "Au
Chateau"; il s'etablirait la, et en restant longtemps attable, ce serait
bien le diable s'il ne trouvait pas moyen d'engager la conversation avec
un paysan ou un domestique.
A cette epoque il y avait des domestiques, particulierement les valets
d'ecurie, les garcons jardiniers qui, n'etant point nourris au chateau,
prenaient la leurs repas; il devait en etre toujours ainsi.
De plus c'etait dimanche, et ce jour-la le cabaret etait toujours plein;
il aurait vraiment peu de chance, ou il serait bien maladroit s'il ne
trouvait pas un bavard qui voulut parler. Il est vrai que pour parler,
il faut savoir, et qu'il pouvait tomber sur un ignorant; mais il avait
toute la journee, toute la soiree a lui.
Quand il entra, la grande salle etait pleine, et sur l'ardoise des
tables on remuait, en les tapant, des dominos, tandis que sur d'autres
on abattait des cartes grasses. A cote des paysans aux mains calleuses
et encroutees, au visage hale et tanne, se trouvaient les domestiques
du chateau, valets d'ecurie, valets de pied, aides de cuisine, qu'on
reconnaissait tout de suite a leur menton bleu et a leurs belles
manieres.
Ce fut a une table voisine de ces derniers qu'il s'assit.
VII
Avant de parler, Nicetas jugea qu'il etait plus prudent d'ecouter; et
sans en avoir l'air, tout en buvant a petits coups son absinthe, il se
mit a etudier les gens du chateau qui l'entouraient, cherchant celui
qui, plus naif et plus bavard que les autres, se laisserait questionner
utilement.
Quand il etait entre on l'avait regarde curieusement, mais bientot on
avait paru ne plus faire attention a lui, ce qui lui permit de se livrer
a son examen.
Allant de table en table, il fut surpris de voir que parmi ces
domestiques qui pour l'honneur de leur maison devaient etre tous plus
decoratifs les uns que les autres, il y en avait un qui etait borgne, un
autre boiteux. Alors il se prit a rire tout bas, se disant que c'etait
une drole de boutique qui reunissait ces eclopes, et il conclut que le
d'Unieres etait un avare qui ne dedaignait aucune economie, meme celles
qui conduisent au ridicule, car surement il ne payait pas ces pauvres
diables aussi cher que de beaux gars dont on achete la prestance autant
que les services.
En quoi il se trompait et raisonnait a faux, en attribuant ce choix a
l'economie. Chez le comte
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