uns souriants, les autres
grimacants, semblent exprimer les miseres et les gloires, les terreurs
et les esperances, les haines et les amours dont ils ont ete temoins
durant des siecles. On y voit la place Dauphine avec ses maisons de
brique telles qu'elles etaient quand Manon Phlipon y avait sa chambrette
de jeune fille. On y voit le vieux Palais de Justice, la fleche retablie
de la Sainte-Chapelle, l'Hotel de Ville et les tours de Notre-Dame.
C'est la qu'on sent mieux qu'ailleurs les travaux des generations, le
progres des ages, la continuite d'un peuple, la saintete du travail
accompli par les aieux a qui nous devons la liberte et les studieux
loisirs. C'est la que je sens pour mon pays le plus tendre et le plus
ingenieux amour. C'est la qu'il m'apparait clairement que la mission de
Paris est d'enseigner le monde. De ces paves de Paris, qui se sont tant
de fois souleves pour la justice et la liberte, ont jailli les verites
qui consolent et delivrent. Et je retrouve ici, parmi ces pierres
eloquentes, le sentiment que Paris ne manquera jamais a sa vocation.
Convenons que, sans doute, puisque la Seine est le vrai fleuve de
gloire, les boites de livres etalees sur les quais lui faisaient une
digne couronne.
Je viens de relire l'excellent livre que M. Octave Uzanne a consacre aux
antiquites et illustrations des bouquinistes. On y voit que l'usage
d'etaler des livres sur les parapets remonte pour le moins au XVIIe
siecle, et qu'a l'epoque de la Fronde les rebords du Pont-Neuf etaient
meubles de romans. MM. les libraires jures, ayant boutique et enseigne
peinte, ne purent souffrir ces humbles concurrents, qui furent chasses
par edit, en meme temps que le Mazarin, ce qui montre que les petits ont
leurs tribulations comme les grands.
Du moins les bouquinistes furent-ils regrettes des doctes hommes, et
l'on conserve le memoire qu'un bibliophile redigea en leur faveur, l'an
1697, c'est-a-dire plus de quarante ans apres leur expulsion.
"Autrefois, dit ce savant, une bonne partye des boutiques du Pont-Neuf
estoient occupees par les librairies qui y portoient de tres bons livres
qu'ils donnoient a bon marche. Ce qui estoit d'un grand secours aux gens
de lettres, lesquels sont ordinairement fort peu pecunieux.
"Aux estallages, on trouve des petits traitez singuliers, qu'on ne
connoit pas bien souvent, d'autres qu'on connoit a la verite, mais qu'on
ne s'avisera pas d'aller demander chez les libraires, et qu'on n'achete
que
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