leves a qui ces beaux ouvrages etaient destines quittaient la partie de
barres ou de cheval fondu et se rendaient avec M. Gregoire dans une des
salles du rez-de-chaussee, pour essayer l'uniforme nouveau. Attentif et
meditatif, M. Gregoire faisait sur le drap toute sorte de petits signes
a la craie. Et, huit jours apres, il rapportait, dans la meme toilette
verte, un costume irreprochable.
Par malheur, M. Gregoire faisait payer tres cher ses tuniques. Il en
avait le droit: il etait sans rival. Le luxe est toujours couteux: M.
Gregoire etait un tailleur de luxe. Je le vois encore, pale,
melancolique, avec ses beaux cheveux blancs et ses yeux bleus, si
fatigues sous des lunettes d'or; il etait d'une distinction parfaite et,
n'eut ete sa toilette verte, on l'eut pris pour un magistrat. M.
Gregoire etait le Dusautoy des potaches. Il devait faire de longs
credits, car sa clientele etait composee de gens riches, c'est-a-dire de
gens qui n'en finissent pas de regler leurs notes. Il n'y a que les
pauvres gens qui payent comptant. Ce n'est pas par vertu; c'est parce
qu'on ne leur fait pas credit. M. Gregoire savait qu'on n'attendait de
lui rien de petit ou de mediocre, et qu'il devait a ses clients et a
lui-meme de produire tardivement de tres grosses notes.
M. Gregoire avait deux tarifs, selon la qualite des fournitures. Il
distinguait, par exemple, dans ses factures, les palmes d'or fin brodees
sur le collet meme et les palmes faites d'avance, avec moins de
delicatesse, sur un petit drap ovale qu'on cousait au collet. Il y avait
donc le grand et le petit tarif. Mais le petit tarif etait deja ruineux.
Les eleves habilles par M. Gregoire constituaient une aristocratie, une
sorte de high-life a deux degres, dans lequel on distinguait les collets
brodes et les collets a appliques. L'etat de mes parents ne me
permettait pas d'esperer jamais entrer dans la clientele de M. Gregoire.
Ma mere etait tres econome; elle etait aussi tres charitable. Sa charite
la fit agir d'une maniere qui montre la bonte de son ame,--il n'y en eut
jamais de plus belle au monde,--mais qui me causa d'assez vifs
desagrements. Ayant appris, je ne sais comment, qu'un tailleur-concierge
de la rue des Canettes, nomme Rabiou (c'etait un petit homme roux et
cagneux qui portait une tete d'apotre sur un corps de gnome),
languissait dans la misere et meritait un sort meilleur, elle songea
tout de suite a lui etre utile. Elle lui fit d'abord quelques dons. Mais
Ra
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