quitter
Etienne, le plus petit de la bande.
Les voila partis. Ils s'avancent en ordre sur une seule ligne. On ne
peut mieux partir. Pourtant, il y a un defaut a cette belle ordonnance.
Etienne est trop petit.
Un grand courage s'allume en lui. Il s'efforce, il hate le pas. Il ouvre
toute grande ses courtes jambes. Il agite ses bras par surcroit. Mais il
est trop petit, il ne peut pas suivre ses amis. Il reste en arriere.
C'est fatal; les philosophes savent que les memes causes produisent
toujours les memes effets. Mais Jacques, ni Bernard, ni Marcel, ni meme
Roger, ne sont des philosophes. Ils marchent selon leurs jambes, le
pauvre Etienne marche avec les siennes: il n'y a pas de concert
possible. Etienne court, souffle, crie, mais il reste en arriere.
Les grands, ses aines, devraient l'attendre, direz-vous, et regler leur
pas sur le sien. Helas, ce serait de leur part une haute vertu. Ils sont
en cela comme les hommes. En avant, disent les forts de ce monde, et ils
laissent les faibles en arriere. Mais attendez la fin de l'histoire.
Tout a coup, nos grands, nos forts, nos quatre gaillards s'arretent. Ils
ont vu par terre une bete qui saute. La bete saute parce qu'elle est une
grenouille, et qu'elle veut gagner le pre qui longe la route. Ce pre,
c'est sa patrie: il lui est cher, elle y a son manoir aupres d'un
ruisseau. Elle saute.
C'est une grande curiosite naturelle qu'une grenouille.
Celle-ci est verte; elle a l'air d'une feuille vivante, et cet air lui
donne quelque chose de merveilleux. Bernard, Roger, Jacques et Marcel se
jettent a sa poursuite. Adieu Etienne, et la belle route toute jaune;
adieu leur promesse. Les voila dans le pre, bientot ils sentent leurs
pieds s'enfoncer dans la terre grasse qui nourrit une herbe epaisse.
Quelques pas encore et ils s'embourbent jusqu'aux genoux. L'herbe
cachait un marecage.
Ils s'en tirent a grand'peine. Leurs souliers, leurs chaussettes, leurs
mollets sont noirs. C'est la nymphe du pre vert qui a mis les guetres de
fange aux quatre desobeissants.
Etienne les rejoint tout essouffle. Il ne sait, en les voyant ainsi
chausses, s'il doit se rejouir ou s'attrister. Il medite en son ame
innocente les catastrophes qui frappent les grands et les forts. Quant
aux quatre guetres, ils retournent piteusement sur leurs pas, car le
moyen, je vous prie, d'aller voir l'ami Jean en pareil equipage? Quand
ils rentreront a la maison, leurs meres liront leur faute sur leurs
jam
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