la fete
du Grand Prix, Angele voulut bien s'attarder dans sa villa, car on lui
avait donne le nom de la Villa Angele. Elle s'amusa a y jeter tout
l'alliage du Louis XVI et du japonisme, ce qui emerveilla les voisins de
campagne--par oui-dire--puisqu'on vivait dans une maison fermee, avec
quelques journaux, un peu de musique et beaucoup de primeurs. Tous les
matins, Paris apportait des nouvelles, des fraises, des crevettes, des
dentelles, des cerises et des chiffons.
Angele etait gourmande et coquette. Les femmes qui ne sont pas belles
ont la fureur de se faire belles. Ce n'etait pas pour son mari que la
jeune femme travaillait sa figure, c'etait pour elle-meme.
Peu a peu la villa egaye ses portes, surtout quand il fut decide qu'on y
passerait la belle saison, grace a quelques petites fetes panachees de
Parisiennes et de provinciales; Angele trouvait amusant, je cite sa
phrase, de faire une omelette aux fines herbes et aux petits oignons des
femmes des Champs-Elysees et des femmes champenoises.
Mais, les jours de solitude, que faire dans une villa apres les
premieres joies du nouveau et du renouveau? Angele se mit a ecrire un
roman, mais au centieme feuillet elle brula tout.
Cette devorante toujours affamee de curiosite, avait perce son mari a
jour; elle trouvait qu'il commencait a rabacher ses sentiments. Elle
avait d'abord voulu l'aimer en francais, en latin et en grec, mais
il etait a bout de science. Dans son culte pour Angele, il faillit
apprendre l'hebreu, apres lui avoir conte toutes les passions de Paris,
de Rome et d'Athenes. N'allez pas croire que ce fut un perverti. C'etait
un idealiste parcourant toute la gamme de l'adoration.
Autrefois, les grandes passions duraient toujours; temoin Philemon et
Baucis, pour ne donner qu'un exemple. Aujourd'hui, la vapeur emporte
tout. Leonce eut peur, par les airs distraits de sa femme, de la voir
bientot s'ennuyer dans le tete-a-tete ou de devenir bas-bleu. Il fut le
premier a lui conseiller de voir quelques voisins de campagne.
--Mais, mon cher Leonce, qui voir dans ce pays perdu?
--M. le cure.
--Oui, s'il veut que je le confesse.
--Le notaire.
--Peut-etre, j'ai songe a faire mon testament.
--Le percepteur des contributions.
--Oui, je l'ai vu l'autre jour a la messe avec son jeune frere, le
sous-lieutenant de chasseurs, qu'il faut inviter aussi.
--Nous l'inviterons.
--Vous choisissez bien votre monde, vous allez etre jaloux, n'est-ce
pas, m
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