u'elle s'appelait
Marguerite. Marguerite au theatre, Paquerette dans les coulisses.
Marguerite etait le seul nom du calendrier comme le seul nom de famille
qu'on lui eut donne a son bapteme. Elle n'avait pas d'etat civil, nee
d'un pere et d'une mere qui s'etaient derobes apres lui avoir donne
une nourrice. Brune comme les abimes, yeux doux et mordants, nez
impertinent, trente-deux dents aigues dans un ecrin de pourpre toujours
entr'ouvert; trois fossettes, une au menton, deux sur les joues, "sans
compter toutes les autres", disait-elle; cheveux en manteau de roi; bras
et jambes en fuseaux; mais pourtour et avant-scenes: voila Paquerette,
avec des seductions sans nombre, un eclat de rire a faire lever le
soleil, de l'esprit a la diable, des heures de sentimentalisme apres des
heures de raillerie, la larme pres des cils, le coeur dans la main.
C'est en vain que j'essaye de peindre Paquerette; il fallait la voir a
l'oeuvre, sur la scene, dans la coulisse, chez elle ou ailleurs, pour la
comprendre un peu, cette etrange et cette capiteuse.
Elle vint me voir un jour, quand elle jouait la comedie au theatre
Beaumarchais. Je ne la connaissais ni des levres ni des dents, pour
parler comme elle. Elle voulait une lettre de recommandation pour jouer
la comedie au Theatre-Francais, sous pretexte qu'elle etait aussi maigre
que Rachel et Sarah. Je lui dis "Va donc, petite Cigale! ne joue pas
ainsi a l'Iphigenie, ne te fais pas sacrifier sur cet autel antique,
cours les theatres d'occasion, tu y trouveras des aventures et tu y
deviendras peut-etre une Granier ou une Judic.
Elle s'etait mise au piano pour jouer une valse de Metra, sur laquelle
elle avait ajuste des paroles de toquee, mais tres valsantes.
Le hasard, qui fait bien les choses, avait amene ce matin-la chez moi
un tout jeune musicien avec qui je jouais du violon en duo, pour me
rappeler mes vingt ans. Il se nommait Wilfrid Bouquet; il avait passe
quelques mois par le Conservatoire, tombant de l'orchestre du theatre
dans l'orchestre du cafe-concert; il jouait a merveille Glueck et Gounod
dans ses entr'actes, il aimait tour a tour Herold et Massenet, ne
trouvant pas que l'un fut trop demode et l'autre trop a la mode.
Voyant Paquerette en ses ondulations forcenees sur le piano, il courut
decrocher mon violon pour accompagner cette folle qui s'enivrait de
musique comme de vin de Champagne. Elle trouva cela bien naturel et le
remercia par quelques-unes de ces oeillades t
|