--Oui, sa vraie patrie, c'etait vous; mais il est trop tard.
Je ne pus convaincre Bouquet; il voulait que la separation de corps
apprit a tout le monde qu'il ne courait plus apres Paquerette.
En effet, on ne fut pas longtemps sans que la _Gazette des Tribunaux_,
a propos de cette separation, revelat, d'apres les journaux du Havre,
comment la comedienne Marguerite avait plante la son mari qui l'adorait,
pour un chenapan qui la battait; car, le jour du flagrant delit, le
talon rouge de province lui avait arrache une poignee de ses beaux
cheveux.
Pour le pauvre mari, la vengeance avait commence le jour de la trahison.
V
Paquerette n'etait pas venue me voir; je lui en savais gre. Cet hiver,
comme je conduisais a l'Eden une princesse etrangere plus ou moins
accreditee, une curieuse ardente a toutes les curiosites, Paquerette
nous croisa dans le promenoir; je ne la saluai point, mais elle se
retourna et me dit: "Plus que ca de princesse!"
--Qu'est-ce que cette demoiselle? me demanda la dame que j'avais au
bras.
--Un monstre.
--Parlez-lui donc, cela m'amusera.
--Tout justement, Paquerette semblait attendre un mot de moi.
--Paquerette, je disais a la princesse que vous etes un monstre.
--Je le sais bien.
--Comment avez-vous pu trahir un si galant homme?
Paquerette ne fut pas touchee du tout; elle se mit a rire et me
repondit:
--Autre temps, autre chanson. Ca m'ennuyait de chanter toujours la meme
chose. Et lui donc, quelle symphonie sempiternelle! Voyez-vous, il y
avait la-dedans trop de pot-au-feu.
--C'est cela, petite miserable; il vous a fallu de la soupe a la bisque;
mais je suis sur qu'au fond vous regrettez votre violon.
--Pas pour deux sous! D'ailleurs, il m'embete toujours; plus nous sommes
separes, plus il court apres moi.
--Encore!
--Tenez, je viens de le voir a deux pas, qui se cache derriere un
pilier.
La-dessus, Paquerette s'envola. La princesse comprit tout de suite le
chagrin du mari.
--Parlez-lui donc, me dit-elle.
Nous nous avancames vers lui. Il etait pale comme la mort, son oeil cave
jetait des eclairs, l'orage grondait dans son coeur.
--Que faites-vous ici? lui dis-je, comme pour lui reprocher sa lachete.
Il me repondit tout bas, pour n'etre pas entendu de la princesse: "Je me
torture."
Et il m'echappa, comme un homme qui se cache de tout le monde.
VI
Je prenais une glace au Cafe Napolitain, en compagnie d'Alberic Second
et d'Aurelien Scholl
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