iberte.
Sur ces mots, la harpiste prit mon bras et m'entraina vers une petite
porte entr'ouverte. La comtesse comprit qu'elle ne devait pas insister.
--Eh bien! me dit-elle en serrant la main de la jeune fille,
conduisez-la chez elle; c'est a deux pas d'ici.
Me voila jetant une pelisse sur la harpiste, ouvrant la porte,
descendant l'escalier et la conduisant chez elle.
--Etes-vous attendue? lui demandai-je en arrivant a sa porte.
--Attendue? Je suis seule au monde, comme dans la chanson.
--Seule au monde! Si vous retombez en syncope, qui donc vous fera
respirer des sels?
Elle me regarda avec un sourire railleur.
--Oui, oui, je vous vois venir, vous voudriez bien que je retombasse en
syncope, tete-a-tete avec vous.
--Ma foi, non. La preuve, c'est que, si vous voulez, nous irons comme
deux amis souper ensemble? Mais vous avez l'air de vivre de l'air du
temps.
--Vous figurez-vous que, jouant de la harpe avec des cachets de
celebrite, je puisse souper tous les jours au Cafe Anglais?
--Si vous vouliez!
--Oui, mais je ne veux pas.
--Les femmes ont tort de s'imaginer qu'elles ne rencontreront jamais
parmi les hommes un bon diable qui ne demandera pas la monnaie de sa
piece.
La harpiste me regarda a brule-regard.
--Eh bien! moi, je n'ai jamais rencontre ce diable-la. Chaque fois
qu'un homme m'a dit un mot, depuis l'age de quinze ans, c'etait un mot
d'amour. Aussi j'ai pris en horreur les hommes et l'amour.
Et, tournant le dos a sa porte, Mlle Vallia reprit:
--Allons souper, car je n'ai pas dine, ce qui m'arrive trop souvent.
Je la mis en voiture et je la conduisis au Cafe Anglais, me promettant
un vif plaisir a la voir souper pour tout de bon. La pauvre musicienne
mourait de faim, car elle mangeait chez elle beaucoup plus de doubles
croches que de perdreaux truffes.
Je passe toute une histoire de famille que j'abandonne aux romanciers
en chambre: Un pere libertin qui mange la fortune de sa femme, laquelle
meurt a la peine avec quatre enfants sur les bras. Vallia avait alors
seize ans, avec une annee de Conservatoire et la protection du maestro
Auber, qui protegeait beaucoup trop de musiciennes. Son frere,
sous-lieutenant d'artillerie, ne pouvait la secourir. Elle avait vecu
avec une de ses soeurs, qui vivait a la diable, cachant la courtisane
sur la fille du monde. Quand Vallia vit trop d'amoureux chez sa soeur,
elle eut peur de l'abime et prit pied dans un petit rez-de-chaussee des
C
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