L'enfant s'endormait. Nous retournions a nos menus propos et a notre
tabac. Par la porte entr'ouverte j'ecoutais, d'une oreille tendue, la
respiration du bebe, les cris qu'il faisait en reve, tous les bruits de
cette petite existence endormie. Parfois ces bruits ne me paraissaient
pas naturels; une inquietude me gagnait. Mais les Lanoue demeuraient
placides. Je les jugeais indifferents, insensibles, indignes de
l'ecrasant devoir paternel.
D'autres fois, Lanoue s'entretenait longuement avec sa femme de leurs
affaires personnelles. Il disait: "Tu permets"? Je repondais: "Comment
donc"! Mais je trouvais bientot que toutes ces questions qu'ils
agitaient m'etaient par trop etrangeres. Trop de choses m'echappaient
dans la vie de mon unique ami. Trop de Lanoue m'etait derobe. Une fureur
jalouse me tenaillait le coeur.
A de tels moments, je revais de represailles. J'etais tout pret, si
Lanoue m'en offrait la moindre occasion, a lui lacher maintes choses
desagreables que je ruminais avec soin.
L'heure passait et Lanoue n'avait pour moi que paroles amicales. Je
ravalais ma colere.
Plus tard, en descendant l'escalier, apres les poignees de mains,
j'imaginais avec horreur Lanoue disant a sa femme: "Quel brave garcon,
ce Salavin"!
Je baissais la tete; je n'etais pas fier. Toutes ces choses laides que
je ne peux pas ne pas voir en mon ami, ce n'est pas en lui qu'elles
sont; c'est en moi, en moi seul.
XVIII
Pendant le mois de decembre, Marguerite eut une angine. Dix jours de
suite, elle demeura chez elle, au lit. Ma mere lui portait du bouillon,
des tisanes, des drogues.
L'ordre de la maison se trouva profondement trouble. La malade, les deux
menages, la cuisine accablaient maman de soins. Elle trouvait encore le
temps de coudre, mais en prenant sur son repos. Nous mangions cote a
cote, a la hate, et il me semblait qu'un vide considerable beait entre
nous.
C'est ainsi, pourtant, que nous avions vecu pendant de longues annees;
deux mois d'habitudes nouvelles suffisaient donc a jeter en desuetude
des coutumes vieilles comme ma vie.
Je cherchais a me rendre utile et j'avais cet empressement falot que
montrent les hommes au milieu des troubles domestiques. J'errais de
piece en piece, m'asseyant sur tous les sieges, m'adossant a tous les
meubles, ouvrant et fermant les portes, deplacant sans raison les
objets. Ma mere, de temps a autre, remontait ses lunettes avec l'ongle
de l'index et me regardait. Encore
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