stime: "Monsieur, je
viens de remplir le devoir sacre d'un magistrat soumis a l'empire de la
loi; il m'en reste un autre non moins important que la probite m'impose:
je vous attends chez moi demain matin a dix heures avec votre digne
defenseur, comme vous sans doute etonne de ma conduite; peut-etre ne la
blamerez-vous plus lorsque vous en connaitrez les motifs."
M. de Montbreuil se rend chez lui, tout occupe de son projet. Vainement
Melina lui fait des questions sur le sort de l'honnete negociant, il ne
lui repond que par un soupir douloureux et des regards de commiseration.
Au diner, il ne peut prendre la moindre nourriture, s'absente toute la
soiree et ne rentre que fort tard. Sa fille l'attendait avec impatience,
inquietude; elle le trouve moins sombre; elle sent meme qu'il lui presse
la main; enfin il lui dit d'une voix penetrante et d'un ton paternel:
"Demain matin, a dix heures, tu sauras tout le mystere."
Elle se rendit a l'heure indiquee au cabinet de son pere, dont elle
recut un baiser en echange de celui qu'elle deposa sur son front
venerable. Bientot fut introduit le condamne de la veille, accompagne
de son avocat. Ce magistrat les fait asseoir et ordonne a sa fille
de raconter elle-meme avec fidelite l'effet de sa fatale imprudence.
Melina, d'une voix alteree et d'un air confus, apprend au negociant par
quel evenement etrange l'ecrit important qui, seul, pouvait le faire
triompher, etait devenu la proie des flammes; et le magistrat ajoute
alors avec dignite: "Que pouvais-je faire, Messieurs, en pareille
circonstance? Reveler l'indiscretion de ma fille et l'aneantissement
de l'ecrit, c'eut ete me donner un ridicule sans operer une conviction
legale; un titre, en justice, ne peut etre combattu que par un autre
titre. J'ai donc prefere m'en tenir a l'austerite de la loi, et j'ai eu
le douloureux courage de condamner un homme de bonne foi.... Mais,
comme l'ecrit incendie vous eut ramene sans doute un grand nombre de
suffrages, et que ce titre unique se trouve aneanti par ma faute ou
par celle de ma fille, je vous restitue, Monsieur, la somme qui vous
appartient. Voici cent soixante billets de caisse et deux de plus pour
les frais du proces auquel vous avez ete condamne. Le refuser, ce serait
faire le malheur de ma vie, ce serait meconnaitre le caractere d'un
magistrat qui deviendrait indigne de reprimer les torts de ses
justiciables, s'il ne savait pas lui-meme reparer les siens."
L'avocat et son client se
|