tz regarda le darwiniste et se prit a sourire. Alors, le coeur ulcere,
la flamme aux yeux:
--Lache! fit Wilfried.
Et il souffleta le tortionnaire.
Lache est une grosse injure, et un soufflet appelle la mort. Comme ils
etaient tous deux ardents et forts, ils entrerent dans le bois, et ils
s'arreterent dans le silence d'une clairiere, sombre et sans horizon.
Lutz, l'ame gonflee de rage, la joue rouge, tenait de la droite une
epee et la brandissait furieusement. Le philosophe, calme, songeait au
scarabee, son frere, qui etait mort, et il appuyait la pointe de son
arme sur le sol verdoyant, espoir des trepasses. Le soir venait. Un
rossignol chanta.
Le rossignol chanta la mort du scarabee sur un mineur grave et solennel;
puis reprenant en majeur, il entonna je ne sais quelle marche guerriere
qui excitait a la vengeance. Et le duel commenca au milieu d'un choeur
general de tous les oiseaux de la foret, amis et admirateurs du
magnifique Mirobolans.
Lutz etait vigoureux et retors. Wilfried, frele, etait brave. Au premier
choc l'epee malhabile de celui-ci sauta de sa main dans une fougere et
il se vit desarme. Le choeur des oiseaux redoubla de vaillance, et le
darwiniste, la tete baissee, songeait a son frere, le scarabee, qui
gisait, roide, sur l'horrible epingle. Lutz s'approcha pour frapper son
ennemi.
--Suis-je une bete sans defense pour que tu m'assassines dans les bois!
dit Wilfried.
Et, bondissant sur son epee, il la ramassa et fondit sur le savant
cruel, a l'improviste, la pointe en avant. Et lui, le savant doux, il le
transperca a son tour, de part et d'autre, de telle sorte que la lame
ayant rencontre le tronc d'un chene-liege, s'y ficha. Le cadavre de Lutz
resta debout, retenu par la garde du glaive.
Et comme les oiseaux ne chantaient plus dans les ramures voisines,
Wilfried dit a voix haute:
--S'il est un Dieu et si ce Dieu est juste, qu'il nous juge.
Aussi ne faut-il pas croire les journaux allemands, ni quand ils disent
que la mort du celebre Lutz de B.... a eu une cause futile, ni quand ils
disent autre chose.
LES BOTTES DE 28 KILOMETRES
_A Octave Mirbeau_
Mon cher Mirbeau, crois-tu aux reves, je veux dire a leur sens
metaphysique? En voici un que j'ai eu la nuit derniere, et dont tu me
donneras la clef sans doute, car tu en es, sinon l'objet, du moins la
cause.
Je venais de lire ton petit dernier, _La 628 E-8_, et, comme tout le
monde, je m'etais laisse entrainer par cett
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