t de terreur, eperdu et l'elytre fou, le pauvre scarabee
tournoyait sur le miroir et il ne savait plus ou il allait. Il entendait
autour de lui siffler dans le vent le filet du naturaliste. Helas, un
mur blanc!...
Le mur blanc comme la neige des poles resplendissait au plein midi. Le
scarabee s'y heurta et tomba dans l'herbe. La, brise, et reployant ses
petites pattes meurtries et ses ailes inutiles, il demeura immobile et
le coeur gros, comprenant que sa derniere heure etait venue.
L'homme ne pardonne pas a la beaute libre.
Lutz le tenait entre ses doigts maigres, et il etait content. Une
derniere ruse, le scarabee la tenta: il fit le mort. Pauvre ruse de
bete! Le naturaliste prit dans sa boite une epingle, longue, longue
comme une lance, et la lui enfonca dans l'aile gauche, et le satin de
l'aile craqua. Ainsi transperce d'outre en outre, le Mirobolans fut fixe
sur le liege. D'abord il ne remua pas, dans l'etonnement de sa douleur.
Et puis voila que tout son pauvre petit corps d'emeraude et d'or fremit;
il agita les pattes en une convulsion, et on sentit que s'il avait eu
une voix, il aurait pousse un cri epouvantable.
Il balancait la tete de bas en haut, comme pour s'elancer, et il
cherchait un point d'appui pour s'arracher de la lance. Mais partout
l'air, rien que l'air, l'air tout a l'heure encore sa joie et sa vie,
mais a present l'air traitre et complice, l'air elastique et sans prise.
Et dans cet air, l'odeur mephitique du camphre qui montait et
l'asphyxiait et l'empoisonnait lentement.... Wilfried s'etait leve: il
etait tres pale. Il marchait vers Lutz, accroupi sous le mur blanc.
Tout proche du scarabee et presque a sa portee, les rebords de la boite
s'etendaient. Oh! pour les atteindre, quels efforts terribles! Mais
il ne parvenait qu'a tourner sur l'epingle, dans sa plaie, comme une
girouette au vent, et de plus en plus il s'enfoncait dans le pal, vers
le lit de camphre deletere. Wilfried allait d'un pas rapide, comme pour
le secourir.
Autour du supplicie les libellules, les belles mouches bleues, les
papillons barioles, les hannetons curieux, voltigeaient pleins de
pitie, car les betes s'aiment dans leur impuissance. Et puis le doux
bruissement des feuilles, les danses hieroglyphiques des rayons, les
clapotements du lac, le printemps, l'amour, la vie partout, et lui,
fixe, le coeur traverse d'une longue lance immobile, helas, mon Dieu,
quelle torture!
--Bourreau! dit Wilfried, bourreau!
Lu
|