r, qu'il me glissait entre les
mains, je lui flanquai un grand coup d'epaule qui le jeta en avant et
le fit basculer dans la voiture, puis je montai derriere lui.
"Le mari inquiet me demandait: "Croyez-vous que ce soit grave?"
Je repondis: "Non" en souriant, et je regardai la femme. Elle avait
passe son bras sous celui de l'epoux legitime et elle plongeait son
oeil fixe dans le fond obscur du coupe.
"Je serrai les mains, et je donnai l'ordre de partir. Tout le long de
la route, le mort me retomba sur l'oreille droite.
"Quand nous fumes arrives chez lui, j'annoncai qu'il avait perdu
connaissance en chemin. J'aidai a le remonter dans sa chambre, puis
je constatai le deces; je jouai toute une nouvelle comedie devant sa
famille eperdue. Enfin je regagnai mon lit, non sans jurer contre les
amoureux."
Le docteur se tut, souriant toujours.
La jeune femme crispee demanda:
"Pourquoi m'avez-vous raconte cette epouvantable histoire?"
Il salua galamment:
"Pour vous offrir mes services a l'occasion."
A CHEVAL
Les pauvres gens vivaient peniblement des petits appointements du
mari. Deux enfants etaient nes depuis leur mariage, et la gene
premiere etait devenue une de ces miseres humbles, voilees, honteuses,
une misere de famille noble qui veut tenir son rang quand meme.
Hector de Gribelin avait ete eleve en province, dans le manoir
paternel, par un vieil abbe precepteur. On n'etait pas riche, mais on
vivotait en gardant les apparences.
Puis, a vingt ans, on lui avait cherche une position, et il etait
entre, commis a quinze cents francs, au ministere de la Marine. Il
avait echoue sur cet ecueil comme tous ceux qui ne sont point prepares
de bonne heure au rude combat de la vie, tous ceux qui voient
l'existence a travers un nuage, qui ignorent les moyens et les
resistances, en qui on n'a pas developpe des l'enfance des aptitudes
speciales, des facultes particulieres, une apre energie a la lutte,
tous ceux a qui on n'a pas remis une arme ou un outil dans la main.
Ses trois premieres annees de bureau furent horribles.
Il avait retrouve quelques amis de sa famille, vieilles gens attardes
et peu fortunes aussi, qui vivaient dans les rues nobles, les tristes
rues du faubourg Saint-Germain; et il s'etait fait un cercle de
connaissances.
Etrangers a la vie moderne, humbles et fiers, ces aristocrates
necessiteux habitaient les etages eleves de maisons endormies. Du haut
en bas de ces demeures, les loc
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