tour des
poissons maintenant."
Puis il revint vers la maison.
Et soudain il apercut le filet aux goujons dans l'herbe. Il le
ramassa, l'examina, sourit, cria: "Wilhem!"
Un soldat accourut, en tablier blanc. Et le Prussien, lui jetant la
peche des deux fusilles, commanda: "Fais-moi frire tout de suite
ces petits animaux-la pendant qu'ils sont encore vivants. Ce sera
delicieux."
Puis il se remit a fumer sa pipe.
LE VOLEUR
"Puisque je vous dis qu'on ne la croira pas.
--Racontez tout de meme.
--Je le veux bien. Mais j'eprouve d'abord le besoin de vous affirmer
que mon histoire est vraie en tous points, quelque invraisemblable
qu'elle paraisse. Les peintres seuls ne s'etonneront point, surtout
les vieux qui ont connu cette epoque de charges furieuses, cette
epoque ou l'esprit farceur sevissait si bien qu'il nous hantait encore
dans les circonstances les plus graves."
Et le vieil artiste se mit a cheval sur une chaise.
Ceci se passait dans la salle a manger d'un hotel de Barbizon.
Il reprit: "Donc nous avions dine ce soir-la chez le pauvre Sorieul,
aujourd'hui mort, le plus enrage de nous. Nous etions trois seulement:
Sorieul, moi et Le Poittevin, je crois; mais je n'oserais affirmer que
c'etait lui. Je parle, bien entendu, du peintre de marine Eugene Le
Poittevin, mort aussi, et non du paysagiste, bien vivant et plein de
talent.
Dire que nous avions dine chez Sorieul, cela signifie que nous etions
gris. Le Poittevin seul avait garde sa raison, un peu noyee il est
vrai, mais claire encore. Nous etions jeunes, en ce temps-la. Etendus
sur des tapis, nous discourions extravagamment dans la petite chambre
qui touchait a l'atelier. Sorieul, le dos a terre, les jambes sur une
chaise, parlait bataille, discourait sur les uniformes de l'Empire, et
soudain se levant, il prit dans sa grande armoire aux accessoires une
tenue complete de hussard, et s'en revetit. Apres quoi il contraignit
Le Poittevin a se costumer en grenadier. Et comme celui-ci resistait,
nous l'empoignames, et, apres l'avoir deshabille, nous l'introduisimes
dans un uniforme immense ou il fut englouti.
Je me deguisai moi-meme en cuirassier. Et Sorieul nous fit executer un
mouvement complique. Puis il s'ecria: "Puisque nous sommes ce soir des
soudards, buvons comme des soudards."
Un punch fut allume, avale, puis une seconde fois la flamme s'eleva
sur le bol rempli de rhum. Et nous chantions a pleine gueule des
chansons anciennes
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