jour, comme elle descendait la rue de la Chaussee-d'Antin, elle
s'arreta a contempler un magasin rempli de ces bibelots japonais si
colores qu'ils donnent aux yeux une sorte de gaiete. Elle considerait
les mignons ivoires bouffons, les grandes potiches aux emaux
flambants, les bronzes bizarres, quand elle entendit, a l'interieur de
la boutique, le patron qui, avec force reverences, montrait a un
gros petit homme chauve de crane, et gris de menton, un enorme magot
ventru, piece unique, disait-il.
Et a chaque phrase du marchand, le nom de l'amateur, un nom celebre,
sonnait comme un appel de clairon. Les autres clients, des jeunes
femmes, des messieurs elegants, contemplaient, d'un coup d'oeil
furtif et rapide, d'un coup d'oeil comme il faut et manifestement
respectueux, l'ecrivain renomme qui, lui, regardait passionnement le
magot de porcelaine. Ils etaient aussi laids l'un que l'autre, laids
comme deux freres sortis du meme flanc.
Le marchand disait: "Pour vous, monsieur Jean Varin, je le laisserai
a mille francs; c'est juste ce qu'il me coute. Pour tout le monde ce
serait quinze cents francs; mais je tiens a ma clientele d'artistes et
je lui fais des prix speciaux. Ils viennent tous chez moi, monsieur
Jean Varin. Hier, M. Busnach m'achetait une grande coupe ancienne.
J'ai vendu l'autre jour deux flambeaux comme ca (sont-ils beaux,
dites?) a M. Alexandre Dumas. Tenez, cette piece que vous tenez la, si
M. Zola la voyait, elle serait vendue, monsieur Varin."
L'ecrivain tres perplexe hesitait, sollicite par l'objet, mais
songeant a la somme; et il ne s'occupait pas plus des regards que s'il
eut ete seul dans un desert.
Elle etait entree tremblante, l'oeil fixe effrontement sur lui, et
elle ne se demandait meme pas s'il etait beau, elegant ou jeune.
C'etait Jean Varin lui-meme, Jean Varin!
Apres un long combat, une douloureuse hesitation, il reposa la potiche
sur une table. "Non, c'est trop cher," dit-il.
Le marchand redoublait d'eloquence. "Oh! monsieur Jean Varin, trop
cher? cela vaut deux mille francs comme un sou."
L'homme de lettres repliqua tristement en regardant toujours le
bonhomme aux yeux d'email: "Je ne dis pas non; mais c'est trop cher
pour moi. "
Alors, elle, saisie d'une audace affolee, s'avanca: "Pour moi,
dit-elle, combien ce bonhomme?"
Le marchand, surpris, repliqua:
"Quinze cents francs, madame.
--Je le prends."
L'ecrivain, qui jusque-la ne l'avait pas meme apercue, se retourna
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