me firent coucher sur un
matelas que je portois, et la, me traitant a leur guise, ils me petirent et
me pincerent tant avec les [Footnote: C'est ce que nous appelons masser.
Cette methode est employee dans beaucoup de contrees de l'Orient pour
certaines maladies.] mains que, de fatigue et de lassitude, je m'endormis
et reposai six heures.
Pendant tout ce temps aucun d'eux ne me fit le moindre deplaisir, et ils ne
me prirent rien. Ce leur etoit cependant chose bien aisee; et je devois
d'ailleurs les tenter, puisque je portois sur moi deux cents ducats, et que
j'avois deux chameaux charges de provisions et de vin.
Je me remis en route avant le jour pour regagner Gaza: mais quand j'y
arrivai je ne retrouvai plus ni mes quatre compagnons, ni meme messire
Sanson de Lalaing. Tous cinq etoient retournes a Jerusalem, et ils avoient
emmene avec eux le truceman. Heureusement je trouvai un Juif Sicilien de
qui je pus me faire entendre. Il fit venir pres de moi un vieux Samaritain
qui, par un remede qu'il me donna, appaisa la grande ardeur que j'endurois.
Deux jours apres, me sentant un peu mieux, je partis dans la compagnie d'un
Maure. Il me mena par le chemin de la marine (de la cote.) Nous passames
pres d'Esclavonie (Ascalon), et vinmes, a travers un pays toujours agreable
et fertile, a Ramle, d'ou je repris le chemin de Jerusalem.
La premiere journee, je rencontrai sur ma route l'amiral (commandant) de
cette ville. Il revenoit d'un pelerinage avec une troupe de cinquante
cavaliers et de cent chameaux, montes presque tous par des femmes et des
enfans qui l'avoient accompagne au lieu de sa devotion. Je passai la nuit
avec eux; et, le lendemain, de retour a Jerusalem, j'allai loger chez les
cordeliers, a l'eglise du mont de Sion, ou je retrouvai mes cinq camarades.
En arrivant je me mis au lit pour me faire traiter de ma maladie, et je ne
fus gueri et en etat de partir que le 19 d'Aout. Mais pendant ma
convalescence je me rappelai que plusieurs fois j'avois entendu differentes
personnes dire qu'il etoit impossible a un chretien de revenir par terre de
Jerusalem en France. Je n'oserois pas meme, aujourd'hui que j'ai fait le
voyage, assurer qu'il est sur. Cependant il me sembla qu'il n'y a rien
qu'un homme ne puisse entreprendre quand il est assez bien constitue pour
supporter la fatigue, et qu'il possede argent et sante. Au reste, ce n'est
point par jactance que je dis cela; mais, avec l'aide de Dieu et de sa
glorieuse mer
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