tout cela
etoit une pratique pour avoir argent; cependant je ne veux point dire
par-la que Notre-Dame n'ait plus de pouvoir encore que cette image.
Je revins a Damas, et, la ville du depart, je reglai mes affaires et
disposai ma conscience, comme si j'eusse du mourir; mais tout-a-coup je me
vis dans l'embarras.
J'ai parle du courier qu'avoit envoye le Soudan pour faire arreter les
marchands Genois et Catalans qui se trouvoient dans ses Etats. En venu de
cet ordre, on prit mon hote, qui etoit Genois; ses effets furent saisis, et
l'on placa chez lui un Maure pour les garder. Moi, je cherchai a lui sauver
tout ce que je pourrois, et afin que le Maure ne s'en apercut pas, je
l'enivrai. Je fus arrete a mon tour, et conduit devant un des cadis, gens
qu'ils regardent comme nous nos eveques, et qui sont charges d'administrer
la justice.
Le cadi me renvoya vers un autre, qui me fit conduire en prison avec les
marchands. Il savoit bien pourtant que je ne l'etois pas; mais cette
affaire m'etoit suscitee par un trucheman qui vouloit me ranconner, comme
il l'avoit deja tente a mon premier voyage. Sans Autonine Mourrouzin,
consul de Venise, il m'eut fallu payer; mais je restai en prison, et
pendant ce temps la caravane partit.
Pour obtenir ma liberte, le consul et quelques autres personnes furent
obliges de faire des demarches aupres du roi (gouverneur) de Damas,
alleguant qu'on m'avoit arrete a tort et sans cause, et que le trucheman le
savoit bien. Le seigneur me fit venir devant lui avec un Genois nomme
Gentil Imperial, qui etoit un marchand de par le Soudan, pour aller acheter
des esclaves a Caffa. Il me demanda qui j'etois, et ce que je venois faire
a Damas; et, sur ma reponse que j'etois Francais, venu en pelerinage a
Jerusalem, il dit qu'on avoit tort de me retenir, et que je pouvois partir
quand il me plairoit.
Je partis donc, le lendemain 6 Octobre, accompagne d'un moucre, que je
chargeai d'abord de transporter hors de la ville mes habillemens Turcs,
parce qu'il n'est point permis a un chretien d'y paroitre avec la toque
blanche.
A peu de distance est une montagne ou l'on montre une maison qu'on dit
avoir ete celle de Cain; et, pendant la premiere journee, nous n'eumes que
des montagnes, quoique le chemin soit bon; mais a la seconde nons trouvames
un beau pays, et il continua d'etre agreable jusqu'a Balbec.
C'est la que mon moucre me quitta, et que je trouvai la caravane. Elle
etoit campee pres d'une riviere,
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