; de sorte qu'on ne pouvoit y aborder que par mer, ou par une
chaussee etroite qui traversoit le marais. Il etoit inhabite, mais en avant
s'etoient etablis des Turcomans. Ils occupoient cent vingt pavillons, les
uns de feutre, les autre de coton bleu et blanc, tous tres-beaux, tous
assez grands pour loger a l'aise quinze ou seize personnes. Ce sont leurs
maisons, et, comme nous dans les notres, ils y font tout leur menage, a
l'exception du feu.
Nous nous arretames chez eux. Ils vinrent placer devant nous une de ces
nappes a coulisses dont j'ai parle, et dans laquelle il y avoit encore des
miettes de pain, des fragmens de fromage et des grains de raisin. Apres
quoi ils nous apporterent une douzaine de pains plats avec un grand
quartier de lait caille, qu'ils appellent yogort. Ces pains, larges d'un
pied, sont ronds et plus mince que des oublies. On les plie en cornet,
comme une oublie a pointes, et on les mange avec le caille.
Une lieue au-dela etoit une petit karvassera (caravanserai) ou nous
logeames. Ces etablisemens consistent en maisons, comme les kans de Syrie.
En route, dans le cours de la journee j'avois rencontre un Ermin (Armenien)
qui parloit un peu Italien. S'etant apercu que j'etois chretien, il se lia
de conversation avec moi, et me conta beaucoup de details, tant sur le pays
et les habitans, que sur le soudan et ce Ramedang, seigneur de Turchmanie,
dont je viens de faire mention. Il me dit que ce dernier etoit un homme de
haute taille, tres-brave, et le plus habile de tous les Turcs a manier la
masse et l'epee. Sa mere etoit une chretienne, qui l'avoit fait baptiser a
la loi Gregoise (selon le rit des Grecs) "pour lui oster le flair et la
senteur que ont ceulx qui ne sont point baptisez." [Footnote: Les chretiens
d'Asie croyoient de bonne foi que les infideles avoient une mauvaise odeur
qui leur etoit particuliere, et qu'ils perdoient par le bapteme. Il sera
encore parle plus bas de cette superstition. Ce bapteme etoit, selon la loi
Gregoise, par immersion.]
Mais il n'etoit ni bon chretien ni bon Sarrasin; et quand on lui parloit
des deux prophetes Jesus et Mahomet, il disoit: Moi, je suis pour les
prophetes vivans, il me seront plus utiles que ceux qui sont morts.
Ses Etats touchoient d'un cote a ceux du karman, dont il avoit epouse la
soeur; de l'autre a la Syrie, qui appartenoit au soudan. Toutes les fois
que par son pays passoit un des sujets de celui-ci, il en exigeoit des
peages. Mais enfin l
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