point d'epee, car j'avoue que je l'aurois tiree, et c'eut ete
folie a moi, comme c'en seroit une a ceux qui m'imiteroient. Le resultat de
la querelle fut que, pour me debarrasser d'eux, il me fallut leur donner
douze drachmes de leur monnoie, lesquelles valent un demi-ducat. Des qu'ils
les eurent recues ils me quitterent tous quatre; de sorte que je fus oblige
de m'en revenir seul avec mon moucre.
Nous avions fait peu de chemin, quand nous vimes venir a nous deux Arabes
armes a leur maniere et montes sur de superbes chevaux. Le moucre, en les
voyant, eut grande peur. Heureusement ils passerent sans nous rien dire;
mais il m'avoua que, s'ils m'eussent soupconne d'etre chretien, nous etions
perdus, et qu'ils nous eussent tues tous deux sans remission, ou pour le
moins depouilles en entier.
Chacun d'eux portoit une longue et mince perche ferree par les deux bouts,
don't l'un etoit tranchant, l'autre arrondi, mais garni de plusieurs
taillans, et long d'un empan. Leur ecu (bouclier) etoit rond, selon leur
usage, convexe dans la partie du milieu, et garni au centre d'une grosse
pointe de fer; mais depuis cette pointe jusqu'au bas il etoit orne de
longues franges de soie. Ils avoient pour vetement des robes dont les
manches, larges de plus d'un pied et demi, depassoient leur bras, et pour
toque un chapeau rond termine en pointe, de laine cramoisie, et velu; mais
ce chapeau, au lieu d'avoir sa toile tortillee tout autour, comme l'ont les
autres Maures, l'avoit pendante fort bas des deux cotes, dans toute sa
largeur.
Nous allames de la loger a Samarie, parce que je voulois visiter la mer de
Tabarie (lac de Tiberiade), ou l'on dit que saint Pierre pechoit
ordinairement, et y a aucuns (quelques) pardons; c'etoient les quatre-temps
de Septembre. Le moucre me laissa seul toute la journee. Samarie est situee
sur la pointe d'une montagne. Nous n'y entrames qu'a la chute de jour, et
nous en sortimes a minuit pour nous rendre au lac. Le moucre avoit prefere
cette heure, afin d'esquiver le tribut que paient ceux qui s'y rendent;
mais la nuit m'empecha de voir le pays d'alentour.
J'allai ensuite au puits qu'on nomme puits de Jacob, parce que Jacob y fut
jete par ses freres. Il y a la une belle mosquee, dans laquelle j'entrai
avec mon moucre, parce que je feignis d'etre Sarrasin.
Plus loin est un pont de pierre sur lequel on passe le Jourdain, et qu'on
appelle le pont de Jacob, a cause d'une maison qui s'y trouve, et qui fut,
dit
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