chevaux et jumens. Tous sont hongres, excepte
quelques'uns qu'on garde comme etalons. Si vous avez affaire a un homme
riche, et que vouz alliez le trouver chez lui, il vous menera, pour vous
parler, dans son ecurie: aussi sont-elles tenues tres-fraiches et
tres-nettes.
Nous autres, nous aimons un cheval entier, de bonne race; les Maures
n'estiment que les jumens. Chez eux, un grand n'a point honte de monter une
jument que son poulain suit par derriere. [Footnote: Ce trait fait allusion
aux prejuges alors en usage chez les chevaliers d'Europe. Comme ils avoient
besoin, pour les tournois et les combats, de chevaux tres-forts, ils ne se
servoient que de chevaux entiers, et se seroient crus deshonores de monter
une jument.] J'en ai vu d'une grande beaute, et qui se vendoient jusqu'a
deux et trois cents ducats. Au reste, leur coutume est de tenir leurs
chevaux sur le maigre (de ne point les laisser engraisser).
Chez eux, les gens de bien (gens riches, qui ont du bien) portent tons,
quand ils sont a cheval, un tabolcan (petit tambour), dont ils se servent
dans les batailles et les escarmouches pour se rassembler et se rallier;
ils l'attachent a arcon de leur selle, et le frappent avec une baguette de
cuir plat. J'en achetai un aussi, avec des eperons et des bottes vermeilles
qui montoient jusqu'aux genoux, selon la coutume du pays.
Pour temoigner ma reconnoissance a Hoyarbarach j'allai lui offrir un pot de
gingembre vert. Il le refusa, et ne ce fut qu'a force d'instances et de
prieres que je vins a bout de le lui faire accepter. Je n'eus de lui
d'autre parole et d'autre assurance que celle dont j'ai parle cidessus.
Cependant je ne trouvai en lui que franchise et layaute, et plus peut-etre
que j'en aurois eprouve de beaucoup de chretiens.
Dieu, qui me favorisoit en tout dans l'accomplissement de mon voyage, me
procura la connoissance d'un Juif de Caffa qui parloit Tartare et Italien;
je le priai de m'aider a mettre en ecrit dans ces deux langues toutes les
choses dont je pouvois avoir le plus de besoin en route pour moi et pour
mon cheval. Des notre premiere journee, arrive a Ballec, je tirai mon
papier pour savoir comment on appeloit l'orge et la paille hachee que je
voulois faire donner a mon cheval. Dix ou douze Turcs qui etoient autour de
moi se mirent a rire en me voyant. Ils s'approcherent pour regarder mon
papier, et parurent cussi etonnes de mon ecriture que nous le sommea de la
leur; neanmoins ils me prirent en
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