amitie, et firent tous leurs efforts pour
m'apprendre a parler. Ils ne se laissoient point de me repeter plusieurs
fois la meme chose, et la redisoient si souvent et de tant de manieres,
qu'il falloit bien que je la retinsse; aussi, quand nous nous separames,
savois-je deja demander pour moi et pour mon cheval tout ce qui m'etoit
necessaire.
Pendant le sejour que fit a Damas la caravane, j'allai visiter un lieu de
pelerinage, qui est a seize milles environ vers le nord, et qu'on nomme
Notre-Dame de Serdenay. Il faut, pour y arriver, traverser une montagne qui
peut bien avoir un quart de lieue, et jusqu'a laquelle s'etendent les
jardins de Damas; on descend ensuite dans une vallee charmante, remplie de
vignes et de jardins, et qui a une belle fontaine dont l'eau est bonne. La
est une roche sur laquelle on a construit un petit chateau avec une eglise
de callogero (de caloyers), ou se trouve une image de la Vierge, peinte sur
bois: sa tete, dit-on est portee par miracle; quant a la maniere, je
l'ignore. On ajoute qu'elle sue toujours, et que cette sueur est une huile.
[Footnote: Plusieurs de nos cuteurs du treizieme siecle font mention de
cette vierge de Serdenay, devenue fameuse pendant les croisades, et ils
parlent de sa sueur huileuse, qui passoit pour faire beaucoup de miracles.
Ces fables d'exsudations, miraculeuses etoient communes en Asie. On y
vantoit entre autres celle qui decouloit du tombeau de l'eveque Nicolas,
l'un de ces saints dont l'existence est plus que douteuse. Cette liqueur
pretendue de Nicolas etoit meme un objet de culte; et nous lisons qu'en
1651, un cure de Paris en ayant recut une phiole, il demanda et obtint de
l'archeveque la permission de l'exposer a la veneration des fideles, (Hist.
de la ville et du diocese de Paris, par Lebeuf. t. I., part. 2, p. 557.)]
Tout ce que je puis dire, c'est que quand j'y allai on me montra, au bout
de l'eglise, derriere le grand autel, une niche pratiquee dans le mur, et
que la je vis l'image, qui est une chose plate, et qui peut avoir un pied
et demi de haut sur un de large. Je ne puis dire si elle est de bois ou de
pierre, parce qu'elle etoit couverte entierement de drapeaux. Le devant
etoit ferme par un treillis de fer, et au-dessous il y avoit un vase qui
contenoit de l'huile. Une femme qui etoit la vint a moi; elle remua les
drapeaux avec une cuillere d'argent, et voulut me faire, le signe de la
croix au front, aux tempes et sur la poitrine. Il me sembla que
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