ans une petite galerie, ou nous nous assimes par
terre, en cercle, tous les six. Il posa d'abord au milieu de nous un grand
et beau plat de terre, qui eut pu contenir au moins huit lots (seize
pintes); ensuite il apporta pour chacun de nous un pot plein de vin, le
versa dans le vase, et y mit deux ecuelles de terre qui devoient nous
servir de gobelets.
Un de la troupe commenca la premier, et il but a son compagnon, selon
l'usage du pays. Celui-ci en fit de meme pour son suivant, et ainsi des
autres. Nous bumes de cette maniere, et sans manger, pendant fort
long-temps. Enfin, quand je m'apercus que je ne pouvois pas continuer
davantage sans m'incommoder, je les suppliai a mains jointes de m'en
dispenser; mais ils se facherent beaucoup, et se plaignirent, comme si
j'avois resolu d'interrempre leurs plaisirs et de leur faire tort.
Heureusement il yen avoit un parmi eux qui etoit plus lie avec moi, et qui
m'aimoit tant qu'il m'appeloit kardays, c'est-a-dire frere. Celui-ci
s'offrit a prendre ma place, et a boire pour moi quand ce seroit mon tour.
Cette offre les satisfit; ils l'accepterent, et la partie continua jusqu'au
soir, ou-il nous fallut retourner au kan.
Le chef etoit en ce moment assis sur un siege de pierre, et il avoit devant
lui un fallot allume. Il ne lui fut pas difficile de diviner d'ou nous
venions: aussi y eut-il quatre de mes camarades qui s'esquiverent; il n'en
resta qu'un avec moi. Je dis tout ceci, afin de prevenir les personnes qui,
demain ou un jour quelconque, voyageroient, ainsi que moi, dans leur pays,
qu'elles se gardent bien de boire avec eux, a moins qu'elles ne veuillent
etre obligees d'en prendre jusqu'a ce qu'elles tombent a terre.
Le mamelouck ne savoit rien de ma debauche. Pendant ce temps il avoit
achete une oie pour nous deux. Il venoit de la faire bouillir, et, au
defaut de verjus, il l'avoit accommodee avec des feuilles vertes de
porreaux. J'en mangeai avec lui, et elle nous dura trois jours.
J'aurois bien desire voir Alep; mais la caravane n'y allant point et se
rendant directement a Antioche, il fallut y renoncer. Cependant, comme elle
ne devoit se mettre en marche que deux jours apres, le mamelouck fut d'avis
que nous prissions tous deux les devants, afin de trouver plus aisement a
nous loger. Quatre autres camarades, marchands Turcs, demanderent a etre
des notres, et nous partimes tous six ensemble.
A une demi-lieue de Hama, nous trouvames la riviere et nous la passames su
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