nce? Qui pourra me rendre la grace perdue?
Le monde m'echappe. Je me debats parmi les ombres. Qui peut venir a mon
secours? Telles furent mes reflexions sur le banc du Jardin des Plantes.
J'avais froid. Bientot j'eus faim. Je ne constatai pas sans amertume
qu'il m'etait possible d'avoir froid et faim malgre ma douleur. Nouvelle
blessure pour l'orgueil.
Je combattis le froid en marchant, et la faim avec un de ces petits
pains aux raisins secs, un de ces pains de seigle qui ont fait les
delices de mon enfance.
J'errai ainsi, tantot dans les allees du jardin, tantot dans les rues
avoisinantes, jusqu'a la chute du jour. Le ciel s'etait fort brouille
et obscurci. Jamais il ne m'avait paru plus hostile, plus lugubre; et
c'etait pure illusion, car j'ai connu, sous l'azur de juillet, des
detresses en sueur qui passent de loin toutes les tristesses de l'hiver.
Il n'y a de soleil que dans la paix du coeur.
Ou aller?
Comme la nuit s'epaississait, la neige se mit a tomber. J'etais alors
dans la rue Buffon.
Je revins a la surface du monde pour constater qu'il neigeait. Puis,
nouvelle plongee dans les profondeurs.
Un peu plus tard, je m'apercus que j'etais a la hauteur de la caserne
municipale, rue Monge, en marche vers la rue du Pot-de-Fer. La bete
remontait au gite; d'elle-meme, elle rentrait a la bauge, ou il fait
tiede, ou l'on mange.
Toujours la meme chose. Toujours le meme rythme. Sortir, rentrer.
Rapporter a la maison, chaque soir, son fardeau de colere et de degout.
XXII
Monsieur, il est plus de minuit et vous m'avez ecoute jusqu'ici avec
beaucoup de patience et de bonte. Je vais donc abuser de votre sympathie
en achevant mon recit.
Une semaine s'est ecoulee depuis les evenements qui ont marque, pour
moi, la journee de Noel. Une fois encore, je vous prie de m'excuser
si je m'obstine a nommer evenements ces choses qui se sont entierement
passees en moi. Le monde a deux histoires: l'histoire de ses actes,
celle que l'on grave dans le bronze, et l'histoire de ses pensees, celle
dont personne ne semble se soucier. En verite, qu'importent mes actes,
si toutes mes pensees n'en sont que le desaveu et la derision?
J'ai d'abord vecu quatre jours dans une anxiete sans cesse croissante.
Pour bien des raisons que vous devinez aisement, le sejour a la maison
etait penible: tant de souvenirs, et le regard de ces deux femmes, et le
mensonge de mon visage, de mes paroles, de mes gestes.
Je suis donc so
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