main et par la rue de
l'Astruce, venait battre de son flux le pied des murs du Louvre et
de son reflux la base de l'hotel de Bourbon qui s'elevait en face.
Il y avait, malgre la fete royale, et meme peut-etre a cause de la
fete royale, quelque chose de menacant dans ce peuple, car il ne
se doutait pas que cette solennite, a laquelle il assistait comme
spectateur, n'etait que le prelude d'une autre remise a huitaine,
et a laquelle il serait convie et s'ebattrait de tout son coeur.
La cour celebrait les noces de madame Marguerite de Valois, fille
du roi Henri II et soeur du roi Charles IX, avec Henri de Bourbon,
roi de Navarre. En effet, le matin meme, le cardinal de Bourbon
avait uni les deux epoux avec le ceremonial usite pour les noces
des filles de France, sur un theatre dresse a la porte de Notre-
Dame.
Ce mariage avait etonne tout le monde et avait fort donne a songer
a quelques-uns qui voyaient plus clair que les autres; on
comprenait peu le rapprochement de deux partis aussi haineux que
l'etaient a cette heure le parti protestant et le parti
catholique: on se demandait comment le jeune prince de Conde
pardonnerait au duc d'Anjou, frere du roi, la mort de son pere
assassine a Jarnac par Montesquiou. On se demandait comment le
jeune duc de Guise pardonnerait a l'amiral de Coligny la mort du
sien assassine a Orleans par Poltrot du Mere. Il y a plus: Jeanne
de Navarre, la courageuse epouse du faible Antoine de Bourbon, qui
avait amene son fils Henri aux royales fiancailles qui
l'attendaient, etait morte il y avait deux mois a peine, et de
singuliers bruits s'etaient repandus sur cette mort subite.
Partout on disait tout bas, et en quelques lieux tout haut, qu'un
secret terrible avait ete surpris par elle, et que Catherine de
Medicis, craignant la revelation de ce secret, l'avait empoisonnee
avec des gants de senteur qui avaient ete confectionnes par un
nomme Rene, Florentin fort habile dans ces sortes de matieres. Ce
bruit s'etait d'autant plus repandu et confirme, qu'apres la mort
de cette grande reine, sur la demande de son fils, deux medecins,
desquels etait le fameux Ambroise Pare, avaient ete autorises a
ouvrir et a etudier le corps, mais non le cerveau. Or, comme
c'etait par l'odorat qu'avait ete empoisonnee Jeanne de Navarre,
c'etait le cerveau, seule partie du corps exclue de l'autopsie,
qui devait offrir les traces du crime. Nous disons crime, car
personne ne doutait qu'un crime n'eut ete commis.
C
|