nuyeusement moraux, pour l'amusement des plus jeunes; enfin,
la patience des parents, que je n'aurais pas pris a tache d'ennuyer
aussi, m'invitait a choisir et a orner quelques narrations d'un genre
mixte et d'une portee facile, qui atteignissent a la fois tous les
degres de l'intelligence. Je crus donc pouvoir rattacher mes recits
a des noms litteraires, qui relevent l'interet, souvent trainant, du
drame, et le font sortir de l'orniere du lieu commun. D'ailleurs,
absolument denue de livres, j'aurais craint d'entrer dans l'Histoire, de
fausser une date, de travestir un fait, d'omettre ou d'estropier un nom,
en un mot, d'induire en erreur qui que ce fut, meme un enfant sachant a
peine ses lettres. L'Histoire est une religion qui a ses fanatiques, et
je m'honore d'etre un de ceux-la.
Voila comment ma convalescence a produit un volume de contes, qui sera
peut-etre suivi de plusieurs autres. Je n'ose pas attendre de tous mes
lecteurs l'indulgence filiale et amicale a laquelle mes jeunes
auditeurs de la Chaumelle m'avaient accoutume; mais je souhaite qu'ils
m'encouragent a recueillir tot ou tard la suite de ces nouvelles, que
j'ai composees en pensant a eux. C'est aux enfants que je parle.
Mes chers petits enfants, le vieux bibliophile Jacob ne cessera de
conter qu'en vous quittant pour toujours.
P. L. JACOB.
Bibliophile.
UNE
BONNE ACTION DE RABELAIS
(1553)
Il y avait, en 1552, un pauvre homme, d'origine juive, qui s'etait
etabli dans une miserable hutte, en plein bois, aux environs du
village de Meudon. On ne savait pas d'ou il venait et personne ne s'en
inquietait, car, depuis son arrivee dans le pays, il n'avait eu de
rapport avec personne. Il ne sortait que la nuit et ne se montrait
jamais pendant le jour; la porte de sa cabane restait fermee a tout
venant: on en voyait sortir quelquefois ses deux enfants, une petite
fille de douze ans et un petit garcon de neuf ans a peine, qui etaient
seuls charges de pourvoir aux besoins de la triste famille. Quant a la
mere de ces enfants, on ne l'avait point encore apercue; on la disait
fort malade, et l'on se demandait parfois si elle n'etait pas morte,
sans que son mari eut averti le cure, pour lui administrer les derniers
sacrements et la faire enterrer.
--C'est un vilain juif! disaient entre elles dix ou douze paysannes,
qui passaient pour aller au marche de Meudon, en se montrant de loin a
travers bois le toit de mousse de la maisonnette mysterieuse
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