petrifie.
J'ai dit ces details de son interieur, quoique je n'y aie point penetre
a cette epoque; mais tout ce qui tient aux personnes dont je raconte
ici l'histoire m'a ete peu a peu devoile par elles-memes avec tant de
precision, que je puis les suivre dans les circonstances de leur vie ou
je n'ai pris aucune part, avec la meme fidelite que je ferai quant a
celles ou j'ai assiste personnellement.
Le depart des deux soeurs fut pour nous un veritable soulagement; mais
le mystere et la promptitude qu'Arsene avait mis a effectuer cette
separation furent longtemps inexplicables pour nous. Nous pensames
d'abord qu'il voulait ne jamais revoir Marthe, et qu'il s'en otait
courageusement l'occasion et le pretexte. Mais il revint nous voir comme
a l'ordinaire; et lorsque Marthe lui demanda l'adresse de ses soeurs, il
eluda ses questions, et finit par lui dire qu'elles etaient placees chez
une maitresse couturiere a Versailles. Je savais le contraire, parce
que je les rencontrais quelquefois dans les alentours de la maison de
commerce ou Arsene etait occupe; leur affectation a m'eviter me faisait
pressentir et respecter la volonte d'Arsene. Il fut impossible a Eugenie
d'avoir le mot de cette enigme; elle ne put meme pas amener Arsene a une
nouvelle explication sur ses sentiments secrets et sur ses resolutions a
l'egard de Marthe. Effrayee du calme qu'il montrait, et craignant qu'il
ne conservat un reste d'esperance trompeuse, elle essayait souvent de le
desabuser; mais il coupait court a tout entretien de ce genre, en lui
disant a la hate: "Je sais bien! je sais bien! inutile d'en parler."
Du reste, pas un mot, pas un regard qui put faire soupconner a Marthe
qu'elle etait l'objet d'une passion ardente et profonde. Il joua si bien
son role qu'elle se persuada n'avoir jamais ete qu'une amie a ses yeux;
et nous-memes nous commencames a croire qu'il avait triomphe de son
amour et qu'il etait gueri.
Eugenie, qui prevoyait la confusion et le chagrin de Marthe lorsqu'elle
apprendrait les services d'argent qu'il lui avait rendus a son insu, le
forca de reprendre celui qu'il avait apporte en dernier lieu. Desormais
elle voulut rester chargee exclusivement de son amie, et cette charge
etait bien legere. Marthe etait d'une sobriete excessive; elle etait
vetue avec une simplicite modeste, et elle aidait assidument Eugenie
dans son travail. La seule trace des bienfaits d'Arsene que nous
n'eussions pas fait disparaitre, de peur d'afflig
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