, avant meme
qu'il eut ouvert la bouche, la reine dit a haute voix:
--Allez dire a M. le duc qu'il nous plait de lui donner audience, comme
au plus fidele sujet de Sa Majeste le roi...
--Je remercie Votre Majeste, dit le duc en entrant, de me donner ce nom
de fidele sujet, qui est le plus beau titre auquel puisse pretendre un
loyal gentilhomme...
La reine prit place dans son fauteuil. Guise demeura debout, mais dans
une attitude si hautaine et si agressive qu'il etait difficile de
savoir s'il venait en sujet du roi ou en conquerant, qui va dicter ses
conditions.
Catherine de Medicis avait pris cette physionomie de majestueuse dignite
qu'elle adoptait comme un masque.
--Mon cousin, dit-elle avec une serenite qui etait vraiment du grand
art, quelles sont vos intentions? Nous sommes seuls. Nul ne peut nous
ecouter. Moi, je suis disposee a tout entendre et comprendre. Jusqu'ou
pretendez-vous pousser la victoire?
Henri de Guise, connaissant de longue date la fourberie de Catherine,
avait prepare ses batteries en consequence.
--Madame, dit-il, ce n'est pas moi, vous le savez, qui ai fait
les barricades. C'est le peuple de Paris. qu'en vain j'ai essaye
d'enchainer; les bourgeois etaient las de payer de lourds impots,
madame.
La reine approuva d'un geste.
--Ce qui a exaspere Paris, continua Guise en s'echauffant, c'est
l'hypocrisie de ce roi qui tantot se donne a la Ligue et tantot aux
huguenots, c'est sa depravation incroyable qui le fait s'entourer de
mignons, c'est enfin l'immense souffle du royaume indigne reclamant un
roi, un vrai roi...
--Et ce vrai roi... C'est vous!...
--Moi, madame!... Moi... ou un autre! gronda Guise perdant toute mesure.
Il faut sauver la France...
--Et le sauveur, c'est vous!...
--Moi, madame... Moi... ou un autre! Qu'importe, pourvu que l'antique
renom de la France ne sombre pas a tout jamais dans le ridicule et la
honte des orgies, entremelees de processions hypocrites!...
--Tout ce que vous venez de dire, fit la reine, je le pensais. Mille
fois j'ai prevenu mon fils. Helas! on ne m'a pas ecoutee... N'en parlons
plus: je suis trop vieille et trop fatiguee pour lutter encore. Mais
j'avoue que je mourrais le desespoir dans l'ame de voir passer le trone
a un heretique... a ce Bearnais maudit qui, en ce moment meme, rassemble
a La Rochelle une formidable armee...
Guise palit et chancela presque sous le coup terrible que Catherine
venait de lui porter. Henri de Bearn
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