a executer les ordres du general, entra dans son appartement,
y trouva sa femme et ses enfants dormant d'un profond sommeil, et courut
rejoindre le general, dont il ne voulait pas exercer la patience.
III
DERIGNY TAPISSIER.
Quand Mme Derigny s'eveilla, elle se trouva seule: les enfants dormaient
encore, et son mari n'y etait pas. N'ayant pour tout ustensile de
toilette qu'un seau d'eau, elle s'arrangea de son mieux, cherchant a
ecarter les pensees penibles de la veille et a mettre toute sa confiance
dans l'intelligence et le bon vouloir de l'excellent Derigny.
Effectivement, quand il revint de sa tournee avec le general, il apporta
a sa femme une foule d'objets utiles et necessaires qu'il avait su
demander et obtenir.
"Comment as-tu fait pour avoir tout ca?" demanda Mme Derigny
emerveillee.
Derigny: "J'ai fait des signes; ils m'ont compris. Ils sont intelligents
tout de meme, et ils paraissent braves gens."
Quand les enfants s'eveillerent, leur dejeuner etait pret: ils y firent
honneur et furent enchantes des ameliorations de leur mobilier.
Quelques semaines se passerent ainsi; Jacques et Paul commencaient
a apprendre le russe et meme a dire quelques mots: les enfants des
domestiques les suivaient partout et les regardaient avec curiosite.
Un jour Jacques et Paul parurent en habit russe: ce furent des cris de
joie; ils s'appelaient tous pour les regarder: Mishka, Vaska, Petrouska,
Annoushka, Stepane, Mashineka, Sanushka, Catineka, Anicia [1]; tous
accoururent et entourerent Jacques et Paul, en donnant des signes de
satisfaction. A la grande surprise de Paul, ils vinrent l'un apres
l'autre leur baiser la main. Les petits Francais, proteges et grandis
par la faveur du general, leur semblaient des etres superieurs, et ils
eprouvaient de la reconnaissance de l'abandon de l'habit francais pour
le caftane national russe.
[Note 1: Diminutifs de Michel, Basile, Pierre, Andre, Etienne,
Marie, Sophie, Catherine, Agnes. Les accents indiquent la syllabe sur
laquelle il faut appuyer fortement.]
Paul: "Pourquoi donc nous baisent-ils les mains?"
Jacques: "Pour nous remercier d'etre habilles comme eux et d'avoir l'air
de nous faire Russes."
Paul, vivement: "Mais je ne veux pas etre Russe, moi; je veux etre
Francais comme papa, maman, tante Elfy et mon ami Moutier."
Jacques: "Sois tranquille, tu resteras Francais. Avec nos habits russes
nous avons l'air d'etre Russes, mais seulement l'air."
Paul: "Bon!
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