entrer chez vous, la curiosite de vos gens sera
excitee, mon respectable ami: je serai denonce, arrete et ramene dans
cet enfer."
Le general vit bien au ton calme, au regard triste et intelligent de
Romane, qu'il etait dans son bon sens. Il reflechit un instant et se
tourna vers Derigny.
"Comment faire, mon ami?"
Derigny avait tout compris; son plan fut vite concu.
"Mon general, voici ce qu'on pourrait faire. Je vais laisser mon manteau
a monsieur, pour le preserver du froid, et je vais apporter quelque
chose de chaud a prendre et de la chaussure, dont il a grand besoin. Et
vous, mon general, vous vous en retournerez chez vous comme revenant de
la promenade. Vous donnerez des ordres pour qu'on m'attelle un cheval
a la petite voiture, vous voudrez bien ajouter que je vais a Smolensk
chercher un gouverneur que vous faites venir pour vos neveux. Je
partirai; au lieu d'aller a la ville, je ferai quelque lieues sur la
route pour fatiguer le cheval, afin que les gens d'ecurie ne se doutent
de rien. Je reviendrai par le chemin qui borde les bois, et je prendrai
Monsieur pour le ramener au chateau."
Les yeux du general brillerent; il serra la main de Derigny. "De
l'esprit comme un ange! Tu vois, mon pauvre Romane, que nous avons bien
fait de le mettre dans la confidence. Prends le manteau de Derigny, je
lui donnerai un des miens."
Romane: "Mais, mon cher comte, mes vetements grossiers, uses et dechires
me donnent l'aspect de ce que je suis, un echappe de Siberie."
Le general: "Derigny te donnera de quoi te vetir, mon ami; ne t'inquiete
de rien; il pourvoira a tout."
Derigny se depouilla de son manteau et en revetit Romane, qui lui
exprima sa reconnaissance en termes energiques mais mesures. Le general
s'eloigna pour aller aux ecuries commander la voiture qui devait lui
ramener son malheureux ami; Derigny l'accompagna. Ils convinrent que
Romane, qui parlait parfaitement l'anglais, et qui, en qualite de
Polonais, avait du type blond ecossais, passerait pour un gouverneur
anglais que le general faisait venir pour ses neveux; Derigny fut charge
de le prevenir de son origine et de son nom, master Jackson. Derigny
alla demander a la cuisine quelque chose de chaud avant de partir pour
aller a la ville chercher le gouverneur anglais. On s'empressa de lui
servir une assiette de soupe aux choux, bouillante, avec un bon morceau
de viande; Derigny l'emporta, completa le repas avec une bouteille de
vin, sortit par une port
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