crois que oui; ce sera mieux. Dites-lui de venir, pour
l'amour de Dieu et de Romane."
Derigny, trop discret pour interroger l'etranger sur sa position
bizarre, salua et s'eloigna, emmenant les enfants. Il les envoya
raconter a leur mere ce qui venait d'arriver, en leur defendant d'en
parler a tout autre, et alla faire son rapport au general.
Le general: "Que diantre voulez-vous que j'y fasse? S'il est perdu dans
mes bois, tant pis pour lui; qu'il se retrouve."
Derigny: "Mais, mon general, il est demi-mort de froid et de fatigue."
Le general: "Eh bien qu'on lui donne des habits, qu'on le chauffe, qu'on
le nourrisse. Tenez, voila! prenez; il ne manque pas de manteaux, de
fourrures. Qu'on le couche, s'il le faut. Je ne vais pas laisser mourir
de faim, de froid et de fatigue, et a ma porte encore, un homme qui me
demande la charite. Qui est-il? Est-ce un paysan, un marchand?"
Derigny: "Je ne sais pas, mon general; seulement j'ai oublie de vous
dire qu'il avait dit: "Dites-lui de venir pour l'amour de Dieu et de
Romane."
Le general, sautant de dessus son fauteuil: "Romane! Romane! Pas
possible! Il a dit Romane? En etes-vous bien sur?"
Derigny: "Bien sur, mon general.
Le general: "Mon pauvre Romane! Je ne comprends pas... Mourant de faim
et de fatigue? Lui, prince, riche a millions et que je croyais mort!"
Le general courut plutot qu'il ne marcha vers la porte, dit a Derigny de
le guider, et marcha de toute la vitesse de ses grosses jambes vers le
bois ou gisait Romane.
Des qu'il l'apercut, il alla a lui, le souleva, l'embrassa, le soutint
dans ses bras, et le regarda avec une profonde pitie melangee de
surprise.
"Mon pauvre ami, quel changement! quelle maigreur! Qu'est-il arrive?"
Romane ne repondit pas et designa du regard Derigny, dont il ignorait la
discretion et la fidelite. Le general comprit et dit tout haut:
"Parlez sans crainte, mon pauvre garcon. Derigny a toute ma confiance;
il est discret comme la tombe, il nous viendra en aide s'il le faut, car
il est de bon conseil."
L'etranger: "Eh bien, mon cher et respectable ami, j'arrive de Siberie,
ou je travaillais comme forcat, et d'ou je me suis echappe presque
miraculeusement."
Le general fut sur le point, dans sa surprise, de laisser retomber
Romane et de tomber lui-meme.
"Toi, en Siberie! Toi, forcat! C'est impossible! Viens te reposer chez
moi; tu retrouveras tes idees egarees par la fatigue et la faim."
Romane: "Si l'on me voit
|