usa quelque temps encore. Natasha appela Derigny pour accompagner
son oncle, et chacun se retira.
Quand le general fut seul avec Derigny, il lui raconta que, quelques
annees auparavant, dans une campagne en Circassie, il avait eu pour aide
de camp un jeune Polonais, le prince Pajarski, un des plus grands noms
de la Pologne, et possedant une immense fortune; il s'y etait beaucoup
attache; il lui avait rendu et en avait recu de grands services.
"Je l'aimais comme mon fils, et il avait pour moi une affection toute
filiale."
Romane etait retourne en conge en Pologne, et le general n'en avait pas
entendu parler depuis. On lui avait seulement appris qu'il avait disparu
un beau jour sans qu'on ait pu savoir ce qu'il etait devenu.
"Il m'a dit avant diner qu'on l'avait accuse de complots contre la
Russie pour retablir le royaume de Pologne; qu'il avait ete enleve, mene
en Siberie, et qu'apres y avoir souffert horriblement il etait parvenu
a s'echapper, et qu'apres mille dangers il avait eu le bonheur d'etre
trouve par vos enfants, mon brave Derigny."
Derigny: "Mon general, avant de vous demander ce que vous ferez du
prince Pajarski, qui ne peut pas rester eternellement gouverneur de
vos petits-neveux, quelque charmante et aimable que soit toute cette
famille, je crois devoir vous faire part d'une decouverte qu'a faite mon
petit Jacques, et dont il a compris l'importance."
Derigny raconta au general ce qui s'etait passe entre lui et Mme
Papofski, et les menaces que Jacques lui avait entendu proferer.
Le general devint pourpre; ses yeux prirent l'aspect flamboyant qui leur
etait particulier dans ses grandes coleres. Il fut quelque temps sans
parler et dans une grande agitation.
"La miserable! s'ecria-t-il enfin. La scelerate!... C'est qu'elle
pourrait reussir! Une denonciation est toujours bien accueillie dans ce
pays, surtout quand il y a de la Pologne et du catholique sous jeu. Et
nous voila avec notre pauvre Romane! Si elle decouvre quelque chose,
nous sommes tous perdus! Que faire? Derigny, mon ami, venez-moi en aide.
Que feriez-vous pour sauver mes pauvres enfants Dabrovine, et vous et
les votres, des serres de ce vautour?"
Derigny: "Contre des maux pareils, mon general, je ne connais qu'un
moyen, la fuite."
Le general: "Et comment fuir, six personnes ensemble? Et comment vivre,
sans argent, en pays etranger?"
Derigny: "Pourquoi, mon general, ne prepareriez-vous pas les voies en
vendant quelque chose d
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