e votre immense fortune?"
Le general: "Tiens, c'est une idee!... Bonne idee, ma foi!... Je puis
vendre ma maison de Petersbourg, celle de Moscou, puis mes terres
en Crimee, celles de Kief, celles d'Orel; il y en a pour six a sept
millions au moins... Je vais ecrire des demain. J'enverrai tout cela
a Londres, et pas en France, pour ne pas donner de soupcons... Mais
Gromiline! elle l'aura, la scelerate!, Diable! comment faire pour
empecher cela!... Et puis, comment partir tous sans qu'elle le sache?"
Derigny: "Il faut qu'elle le sache, mon general."
Le general: "Vous etes fou, mon cher. Si elle le sait, elle nous fera
tous coffrer."
Derigny: "Non, mon general; il faut au contraire l'interesser a notre
depart a tous. Vous parlerez d'aller dans un climat plus doux et aux
eaux d'Allemagne pour la sante de Mme Dabrovine, qui devra etre dans le
secret, et vous demanderiez a Mme Papofski de regir et de surveiller vos
affaires a Gromiline pendant votre absence de quelques mois."
Le general: "Mais elle aurait Gromiline, et c'est ce que je ne veux
pas!"
Derigny: "Elle n'aurait rien du tout, mon general, parce que vous
n'executerez ce projet que lorsque vous aurez vendu Gromiline et
que vous serez convenu du jour de la prise de possession du nouveau
proprietaire, qui arrivera quelques jours apres votre depart.
--Bien, tres bien, s'ecria le general en se frottant les mains les yeux
brillants de joie. Bonne vengeance! J'irai mourir en France, comme j'en
avais le desir; je vous ramene chez vous, mon cher ami; j'assure la
fortune de ma fille, et je vous laisse tous heureux et contents."
Derigny, riant: "Et le pauvre prince que vous oubliez, mon general?"
Le general: "Comment, je l'oublie? puisque je le marie! Mais pas encore;
dans un an ou deux... Vous ne comprenez pas, mais je m'entends."
Derigny ne put retenir un sourire; le general rit aussi de bon coeur; il
recommanda a Derigny de venir l'eveiller de bonne heure le lendemain; il
voulait avoir le temps d'ecrire toutes ses lettres pour la vente de ses
terres et maisons.
XII
RUSE DU GENERAL
Les jours suivants se passerent sans evenements remarquables. Mme
Dabrovine temoignait une grande estime et une grande confiance a M.
Jackson, qui reunissait toutes les qualites que l'on cherche sans les
trouver chez un precepteur. Independamment d'une instruction tres
etendue, il dessinait et peignait bien et avec facilite; il savait
l'anglais, l'allemand et le franc
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