e de derriere, et courut rejoindre Romane,
qu'il laissa manger avec delices ce repas improvise. Avant de monter en
voiture, il alla prendre les derniers ordres du general, recut de lui un
superbe manteau, et partit pour sa mission charitable, apres en
avoir prevenu sa femme, qui avait deja ete informee par Jacques de
l'evenement. Le general revint chez sa niece et s'etablit chez elle.
Le general: "Tu vas avoir quelqu'un pour t'aider a instruire tes
garcons, ma chere enfant."
Madame Dabrovine: "Mais non, mon oncle; Natasha et moi, nous leur
donnons leurs lecons; nous n'avons besoin de personne."
Le general souriant: "Vous leur donnez des lecons de latin, de grec?
Madame Dabrovine, hesitant: "Non, mon oncle, nous ne savons que le russe
et le francais."
Le general: "Il faut pourtant que les garcons sachent le latin et le
grec,"
Natasha, riant: "Mais vous, mon oncle, vous ne savez pas le latin ni le
grec?"
Le general: "C'est pourquoi je suis et serai un ane."
Natasha: "Oh! mon oncle! c'est mal ce que vous dites. Est-ce que
l'empereur aurait nomme general un ane? est-ce qu'il vous aurait donne
une armee a commander?"
Le general, souriant: "Tu ne sais ce que tu dis; un ane a deux pieds
peut devenir general et rester ane. Et je dis que le gouverneur va
arriver, et qu'il faut un gouverneur a tes freres."
Madame Dabrovine: "Mais, mon oncle, mon bon oncle, je n'ai..., je ne
peux pas... Un gouverneur se paye tres cher... et... je ne sais pas..."
Le general: "Tu ne sais pas ou tu prendras l'argent pour le payer? C'est
ca, n'est-il pas vrai? Dans ma poche, parbleu! Que veux-tu que je fasse
de mon argent? Tiens, Natasha, prends ce portefeuille; donne-le a
ta mere; et, quand il sera vide, tu me le rapporteras, que je le
remplisse."
Madame Dabrovine: "Non, mon oncle, vous etes trop bon; je ne veux pas
abuser de votre generosite. Natasha, n'ecoute pas ton oncle, ne prends
pas son portefeuille."
Le general: "Ah! vous prechez la desobeissance a votre fille! Vous me
traitez comme un vieil avare, comme un etranger! Vous pretendez avoir de
l'amitie pour moi, et vous me chagrinez, vous m'humiliez; vous cherchez
a me mettre en colere! Vous voulez me faire comprendre que je suis un
egoiste, un homme sans coeur, qui ne s'embarrasse de personne, qui n'aime
personne. Pauvre, moi! Toujours seul, toujours repousse! Personne ne
veut rien de moi."
Le general se rassit et appuya tristement sa tete dans ses mains.
Nata
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