Derigny suivit precipitamment Mme Dabrovine. Arrive pres du general,
il fut mis au courant de ce qui venait de se passer. Il reflechit un
instant en tournant sa moustache.
Derigny: Pas de danger, mon general. Grace a votre coup de maitre
d'avoir abandonne a Mme Papofski, en votre absence, l'administration de
vos biens, son interet est de vous laisser partir; il ne serait meme pas
impossible que ce fut une ruse pour hater votre depart et vous faire
abandonner le projet que vous manifestiez de rester a Gromiline et de
nous laisser partir sans vous... Il n'y a qu'une chose a faire, ce me
semble, mon general, c'est de partir bien exactement le 1er mai, dans
douze jours; mais de ne le declarer a Mme Papofski que la veille, de
peur de quelque coup fourre."
Madame Dabrovine: "Monsieur Derigny a raison; je crois qu'il voit tres
juste. Tranquillisez-vous donc, mon pauvre pere. Le danger des autres
vous impressionne toujours vivement."
Mme Dabrovine serra les mains de son oncle et l'embrassa a plusieurs
reprises; les explications de Derigny, la tendresse de sa niece,
remirent du calme dans le coeur et dans la tete du general.
Le general: "Chere, bonne fille! Je me suis effraye, il est vrai, et a
tort, je pense. Mais aussi, quel danger je redoutais pour mon pauvre
Romane!...et pour nous tous, peut-etre!
--Vous l'avez heureusement conjure, mon general, dit gaiement Derigny.
Nous sommes en mesure de partir quand vous voudrez. J'ai deja emballe
tous les effets auxquels vous tenez, mon general; l'argenterie meme est
dans un des coffres de la berline; le reste sera fait en deux heures."
Le general: "Merci, mon bon Derigny; toujours fidele et devoue.
--Mon pere! s'ecria avec frayeur Mme Dabrovine, nous ne passerons pas la
frontiere: nous n'avons pas de passeports pour l'etranger.
--Ils sont dans mon bureau depuis huit jours, mon enfant, repondit le
general en souriant."
Madame Dabrovine: "Vous avez pense a tout, mon pere! Vous etes vraiment
admirable, pour parler comme ma soeur."
Le general: "Ou est alle Romane? Savez-vous, Derigny?"
Derigny: ".Je ne sais pas, mon general; je ne l'ai pas vu. Mais je pense
qu'il est a son poste, pres des enfants."
Le general: "Tachez de nous l'envoyer, Derigny; il faut que je le
previenne de se tenir en garde contre les sceleratesses de ma mechante
niece. A-t-on jamais vu deux soeurs plus dissemblables?"
Derigny trouva effectivement Romane dans la galerie; il paraissait agi
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