s et
envelopper les jambes jusqu'aux genoux; ou finissait la culotte de
grosse toile, et un bonnet de peau de mouton, me classaient desormais
dans les forcats. J'etais seul, je ne comprenais pas d'ou provenait
cet heureux changement; le gardien me l'expliqua le lendemain, et
j'en remerciai bien sincerement Dieu qui, par l'entremise du general
Negrinski, avait touche en ma faveur ces coeurs fermes a tout sentiment
de pitie.
[Note 11: Pelisse en peau de mouton que portent les paysans; le poil
est en dedans, la peau on dehors; l'ete, on la remplace par le cafetan
en drap.]
"Je ne vous raconterai pas les details de mes derniers jours de prison,
ni de mon terrible voyage, un peu adouci par la compassion des gens du
peuple qui nous voyaient passer et qui obtenaient la permission de
nous donner des secours; les uns nous offraient du pain, des gateaux;
d'autres, du linge, des chaussures, des vetements; tous nous
temoignaient de la compassion; nous avions les fers aux pieds et aux
mains; nous etions enchaines deux a deux.
"Je me trouvai avoir pour compagnon de chaine un jeune homme de dix-huit
ans qui avait chante des hymnes a la patrie, qui s'etait montre fervent
catholique, qui avait fait des voeux pour la delivrance de la malheureuse
Pologne. Il etait fils unique, adore par ses parents, et il pleurait
leur malheur bien plus que le sien. Je le consolais et l'encourageais de
mon mieux; je sais que peu de temps apres notre arrivee a Simbirsk il
chercha a, s'echapper et fut repris apres une courte lutte dans laquelle
il se defendit avec le courage du desespoir contre le lieutenant qui
commandait le detachement envoye a sa poursuite; il fut ramene et
knoute a mort. Il est maintenant pres du bon Dieu, ou il prie pour ses
bourreaux.
"Notre voyage dura pres d'un an; plusieurs d'entre nous moururent en
route; on nous forcait a trainer le mourant et quelquefois son cadavre
jusqu'a la prochaine couchee. Les coups de fouet pleuvaient sur nous au
moindre ralentissement de marche, au moindre signe d'epuisement et de
desespoir. Jamais un acte de complaisance, un mot de pitie, un regard de
compassion ne venait adoucir notre martyre.
"L'escorte nombreuse qui nous conduisait, qui nous chassait devant elle
comme un troupeau de moutons, etait tout entiere sous le joug de la
terreur: la denonciation d'un camarade pouvait amener dans nos rangs de
forcats le malheureux qui nous aurait temoigne quelque pitie, et chaque
soldat redoublait
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