re: elle avait pris des informations secretes sur l'arrivee de
M. Jackson a Smolensk. Personne, dans la ville, n'avait vu ni recu cet
etranger. Il y avait donc un mystere la dedans. Sa soeur et Natasha
etaient sans doute dans le secret; tous alors etaient du complot, et
leur eloignement rendrait la denonciation plus facile.
Pendant qu'elle roulait son plan dans sa tete et qu'elle s'absorbait
dans ses pensees, son regard fixe et mechant, son sourire de triomphe,
son silence prolonge attirerent l'attention du general, de Mme Dabrovine
et de Romane. Ils se regarderent sans parler; le general fit a Romane
et a Mme Dabrovine un signe qui recommandait la prudence. Mme Dabrovine
reprit son ouvrage; Romane se leva pour aller rejoindre les enfants,
qui, disait-il, pouvaient avoir besoin de sa surveillance. Le general se
leva egalement et annonca qu'il allait travailler.
"Je mets mes affaires en ordre, Maria Petrovna, pour vous rendre facile
la gestion de mes biens; de plus, il sera bon que je vous mette au
courant des revenus et des valeurs des terres et maisons. Derigny m'aide
a faire mes chiffres, qui me cassent la tete; je suis fort content de
l'apercu en gros de ma fortune, et je crois que vous ne serez pas fachee
d'en connaitre le total."
Mme Papofski rougit et n'osa pas repondre, de crainte de trahir sa joie.
"Vous n'etes pas curieuse, Maria Petrovna, reprit le general apres un
silence. Vous saurez que, si vous venez a heriter de moi, vous aurez
douze a treize millions."
Madame Papofski: "Ah! mon oncle, je ne compte pas heriter de vous, vous
savez."
Le general: "Qui sait! C'est parce que je vous tourmente quelquefois
que vous craignez d'etre desheritee? Qui sait ce qui peut arriver?" Le
regard etincelant de Mme Papofski, la rougeur qui colora son visage
d'une teinte violacee, indiquerent au general la joie de son ame; elle
pourrait donc avoir Gromiline et le reste des biens de son oncle
sans commettre de crime et sans courir la chance d'une denonciation
calomnieuse. Sa soeur Dabrovine et l'odieuse Natasha verraient leurs
esperances decues! A partir de ce moment, elle resolut de changer de
tactique et d'attendre avec patience et douceur le depart de l'oncle et
de ses favoris.
Elle crut comprendre que son oncle mettait de la mechancete et de la
fourberie dans sa conduite envers Mme Dabrovine et ses enfants; qu'il
jouait l'affection pour mieux les desappointer, et qu'au fond il
preferait a la douceur feinte et
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