reprit sa place dans la
berline de sa mere et de son oncle, et commenca avec ce dernier une
conversation aussi gaie qu'animee pour lui faire accepter son oreiller,
qui la genait, disait-elle, horriblement.
"Si vous persistez a me refuser, grand-pere, je ne vous appellerai plus
que mon oncle et je donnerai mon oreiller au feltyegre."
Cette menace fit son effet; le general prit l'oreiller, que Natasha lui
arrangea tres confortablement.
"La! A present, grand-pere, bonsoir; dormez bien. Bonsoir, maman, bonne
nuit."
Natasha se rejeta dans son coin et ne tarda pas a s'endormir. Ses
compagnons de route en firent autant.
Dans l'autre berline on commenca par se jeter les oreillers a la tete et
par rire comme la veille: mais le sommeil finit par fermer les yeux des
plus jeunes, puis des plus grands, puis enfin ceux de Romane. De cette
voiture, comme de la premiere, ne sortit pas te plus leger bruit
jusqu'au lendemain: on ne commenca a s'y remuer que lorsque les voitures
s'arreterent et qu'un mouvement bruyant a l'exterieur tira les voyageurs
de leur sommeil. Le soleil brillait deja et rechauffait le pauvre
Derigny, engourdi par le froid de la nuit.
Natasha baissa la glace, mit la tete a la portiere et vit qu'on etait a
la porte d'un auberge. Le feltyegre etait a la portiere, attendant les
ordres du general, qui ronflait encore.
"Ou sommes-nous? Que demandez-vous, feltyegre?" dit Natasha a voix basse
et avec son aimable sourire.
Le feltyegre: "Natalia Dmitrievna, je voudrais savoir si on s'arrete ici
pour prendre le cafe et se reposer un instant."
Natasha: "Moi, je ne demande pas mieux: j'ai faim et j'ai les jambes
fatiguees; mais mon oncle et maman dorment. Madame Derigny! ...Ah! voici
M. Jackson! Faut-il descendre? Qu'en pensez-vous?"
Jackson: "Si vous etes fatiguee, mademoiselle, et si vous avez faim, la
question est decidee."
Natasha: "Il ne faut pas penser a moi, il faut penser a mon oncle et a
maman."
Pour toute reponse, Jackson passa son bras par la glace baissee et
poussa legerement le general, qui s'eveilla.
Natasha: "Pourquoi eveillez-vous grand-pere? C'est mal a vous, monsieur
Jackson; tres mal."
Le general parut surpris.
Romane: "Monsieur le comte, faut-il s'arreter ici pour dejeuner? Le
feltyegre attend vos ordres. Mlle Natalia a faim et elle a mal aux
jambes, ajouta-t-il en souriant."
Le general: "Alors arretons, arretons! que diantre! Je ne veux pas tuer
ma pauvre Natasha. Et p
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