(Le general bondit.)"
Le general: "Polonais! un Polonais chez moi! Allons donc! Ah! ah! ah!
Polonais! Il y ressemble comme je ressemble a un Chinois."
La gaiete du general etait forcee; sa bouche riait, ses yeux lancaient
des flammes; il sembla a Mme Papofski que s'il en avait le pouvoir,
il l'etranglerait sur place, le regard fixe et serieux de cette femme
mechante augmenta le malaise du general, qui s'en alla en disant qu'il
allait savoir des nouvelles de sa niece.
Madame Papofski: "C'est un Polonais! Je le soupconnais depuis quelque
temps; j'en suis sure maintenant! Et mon oncle le sait et il le cache.
Il est bien heureux de m'avoir laisse le soin de gerer ses affaires en
son absence, sans quoi... j'aurais ete a Smolensk et j'aurais denonce
le Polonais et eux tous avant huit jours d'ici! seulement le temps de
decouvrir du nouveau et de m'assurer du fait. A present, c'est inutile:
je tiens sa fortune, j'en vendrai ce que je voudrai. L'hiver prochain,
je vendrai du bois pour un million... et je le garderai, bien entendu."
Pendant que Mme Papofski triomphait, le general arrivait chez Mme
Dabrovine le visage consterne et decompose.
"Ma fille, mon enfant! elle a devine que Romane etait un Polonais! Qu'il
se cache! Elle le perdra! elle le denoncera, la miserable! Mon pauvre
Romane!"
Et le general raconta ce qu'avait dit Mme Papofski.
Madame Dabrovine: "Mon pere! pour l'amour de Dieu, calmez-vous!
Qu'elle ne vous surprenne pas ainsi! Comment saurait-elle que le prince
Romane n'est pas M. Jackson? Elle soupconne peut-etre quelque chose;
elle aura voulu voir ce que vous diriez. Qu'avez-vous repondu?
Le general: "J'ai ri! J'ai dit des niaiseries. Mais je me sentais
furieux et terrifie. Et voila le malheur! elle s'en est apercu. Si
tu avais vu son air feroce et triomphant!... Coquine! gueuse! que ne
puis-je l'etouffer, la hacher en morceaux!"
Madame Dabrovine: "Mon pere! mon pauvre pere! Remettez-vous, laissez-moi
appeler Derigny; il a toujours le pouvoir de vous calmer."
Le general: "Appelle, mon enfant, qui tu voudras. Je suis hors de moi!
Je suis desole et furieux tout a la fois."
Mme Dabrovine courut a la recherche de Derigny, qu'elle trouva
heureusement chez lui avec sa femme; leurs enfants jouaient avec ceux de
Mme Dabrovine dans la galerie.
Madame Dabrovine: "Mon bon Derigny, venez vite calmer mon pauvre pere
qui est dans un etat affreux; il craint que ma soeur n'ait reconnu le
prince Romane."
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