etaient un feltyegre [4] et un domestique; sur celui de la seconde
etait Derigny. Les poches des voitures et des sieges etaient garnies de
provisions, pre- caution necessaire en Russie. Le depart fut grave; le
general eprouvait de la tristesse en quittant pour toujours ses terres
et son pays; le meme sentiment dominait Mme Dabrovine, le souvenir de
son mari lui revenait plus poignant que jamais. Natasha regardait sa
mere et souffrait de ce chagrin dont elle: devinait si bien la cause.
Romane tremblait d'etre reconnu avant de passer la frontiere, et de
devenir ainsi une cause de malheur et de ruine pour ses amis; il avait
passe par les villes et les villages qu'on aurait a traverser pendant
plusieurs jours; mais a pied, trainant des fers trop etroits, dont le
poids et les blessures qu'ils occasionnaient faisaient de chaque pas
une torture. Il est vrai que, mele a la foule de ses compatriotes
transportes en Siberie, il avait pu ne pas etre remarque, ce qui
diminuait de beaucoup le danger. Il sentait aussi la necessite de
dissimuler ses inquietudes pour ne pas causer au general et a Mme
Dabrovine une agitation qui aurait pu eveiller les soupcons du
feltyegre.
[Note 4: Espece d'agent de police qui accompagne les voyageurs de
distinction, a leur demande, pour leur faire donner sur la route les
chevaux, les logements et ce dont ils ont besoin.]
"A quoi pensez-vous, Jackson? lui demanda le general, qui avait remarque
quelque chose des preoccupations de Romane."
Romane: "Je pense au feltyegre, monsieur le comte, et a l'agrement
d'avoir un homme de police a ses ordres pour faciliter le voyage."
Le general: "Et vous avez raison, mon ami, plus raison que vous ne le
pensez; c'est une protection de toutes les manieres, quand il sait qu'il
sera largement paye."
Le general avait appuye sur chaque mot en regardant fixement son jeune
ami, qui le remercia du regard et chercha a reprendre sa serenite
habituelle.
"Maman, entendez-vous les rires qu'ils font dans l'autre voiture!
s'ecria Natasha. Quel dommage que nous ne puissions etre tous ensemble!"
Madame Dabrovine: "Au premier relais tu pourras aller rejoindre Mme
Derigny et tes freres, chere enfant."
Natasha hesita un instant, secoua la tete.
"Non, dit-elle; je veux rester avec vous, maman, et avec mon oncle."
Les eclats de rire et les chants continuaient a se faire entendre.
C'etaient Alexandre et Michel qui apprenaient a Jacques et a Paul des
chansons russes, que
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