ire. On me passa par la fenetre, on me coucha dans une telega
(charrette a quatre roues), et l'on partit d'abord au pas, puis, quand
on fut loin du village, au grand galop des trois chevaux atteles a ma
telega.
"Alors on me delivra de mon baillon; je pus demander pour quel motif
j'etais traite ainsi et par quel ordre.
"Par l'ordre de Son Excellence le prince general en chef", me repondit
un des officiers qui etaient assis sur le bord de la telega, les jambes
pendantes en dehors.
"--Mais de quoi m'accuse-t-on? Qui est mon accusateur?"
"--Vous le saurez quand vous serez en presence de Son Excellence.
"--Nous autres, nous ne savons rien et nous ne pouvons rien vous dire.
"--C'est incroyable qu'on ose traiter ainsi un militaire, un homme
inoffensif.
"--Taisez-vous, si vous ne voulez etre baillonne jusqu'a la prison."
"Je ne dis plus rien; nous arrivames a Varsovie a l'entree de la nuit:
le gouverneur etait seul, il m'attendait.
"Mon interrogatoire fut absurde; j'en subis plusieurs autres, et j'eus
le tort de repondre ironiquement a certaines questions que m'adressaient
mes juges et le gouverneur sur la conspiration qu'on avait decouverte et
qui n'existait que dans leur tete. Ils se facherent; le gouverneur me
dit des grossieretes, auxquelles je repondis vivement, comme je le
devais.
"--Votre insolence, me dit-il, demontre, monsieur, votre esprit
revolutionnaire et la verite de l'accusation portee contre vous. Sortez,
monsieur; demain vous ne serez plus le prince Romane Pajarski, mais le
forcat n deg. * * *. Vous le connaitrez plus tard."
"L'Excellence sonna, me fit emmener.
"Au cachot n deg. 17", dit-il.
"On me traina brutalement dans ce cachot, dont le souvenir me fait
dresser les cheveux sur la tete; c'est un caveau de six pieds de long,
six pieds de large, six pieds de haut, sans jour, sans air; un grabat
de paille pourrie, infecte et remplie de vermine composait tout
l'ameublement. Je mourais de faim et de soif, n'ayant rien pris depuis
la veille. La soif surtout me torturait. On me laissa jusqu'au lendemain
dans ce trou si infect, que lorsqu'on y entra pour me mettre les fers
aux pieds et aux mains, les bourreaux reculerent et declarerent qu'ils
ne pouvaient pas me ferrer, faute de pouvoir respirer librement. On
me poussa alors dans un passage assez sombre, mais aere; en un quart
d'heure mes chaines furent solidement rivees.
"Les anneaux de mes fers se trouverent trop etroits; on me serra
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